Vendredi
1er Février 2013 :
Pourquoi, aujourd’hui (ndlr : jeudi 31 janvier), ce besoin de vous
exprimer sur Renault en particulier ?
Arnaud Montebourg : « Dans la mesure où nous sommes actionnaires de
Renault et que nous disposons de deux sièges au conseil d’administration, il
est naturel que tous ceux qui sont intéressés par Renault, en particulier
ceux qui vivent des sites ou auprès des sites, sachent quelle est notre
politique, ce que nous avons fait vis-à-vis de Renault, quelle forme a pris
le retour de l’Etat, quelles sont les exigences que nous avons posées
vis-à-vis de l’ancienne régie et quel est l’horizon que nous avons fixé à
Renault. »
En tant qu’Etat actionnaire, quelles sont vos marges de manœuvre ?
« Nous avons, dès le premier contact avec la direction de Renault et son
patron, M.Carlos Ghosn, réaffirmé la prééminence de la France comme base
industrielle de référence pour Renault.La décennie qui vient de s’achever
(2002-2012) a été une décennie de désindustrialisation pour les sites de
Renault avec des pertes d’emplois massives, des délocalisations et, d’une
certaine marnière, une sorte de sentiment partagé par la population, les
salariés et nous-mêmes que Renault se désengageait de la France et prenait
son envol dans le monde. La réaffirmation de mon ministère a été de dire
qu’il faut que Renault revienne et réinvestisse en France et la France.Il
faut que Renault retrouve sa base industrielle nationale. Cela s’est traduit
par un certain nombre d’actes.D’abord, Renault a décidé de réinvestir de
façon massive sur les sites parce que nous l’avons demandé : 420 millions
d’euros à Douai pour renouveler le haut de gamme Laguna et Espace ; 230
millions à Sandouville pour l’utilitaire¤; 300 millions à Cléon pour le
moteur électrique ; 190 millions avec le partenaire anglais Caterham à
Dieppe pour l’Alpine. Ce qui fait quand même un total pas très éloigné du
milliard d’euros d’ici 2014.Nous l’avons financé par la vente de la
participation de Renault dans Volvo Trucks. C’est moi qui ai pris cette
décision d’obliger la direction de Renault d’utiliser la moitié du montant
de la participation vendue en investissement sur les sites français. Renault
a décidé de refaire la totalité de sa gamme, s’est alloué les services d’un
designer de très grand talent, qui vient de refaire la Clio 4, et investit
en Recherche et Développement.Ces investissements sur les sites
correspondent à une demande du gouvernement. Renault qui réinvestit en
France, c’est non seulement notre exigence mais c’est aussi un mouvement qui
est enclenché. »
Investir 420 millions d’euros à Douai pour faire le haut de gamme
qui était produit, jusqu’à présent à Sandouville, n’est-ce pas déshabiller
Paul pour habiller Pierre¤?
« Nous traversons une période où le marché est de – 20 %, – 13 % en Italie,
– 3 % en Allemagne et – 25 % en Espagne. Le marché s’effondre et nous sommes
revenus au niveau des ventes de 1996. Je rappelle que trois grands
constructeurs européens sont en difficultés¤: PSA, Opel et Fiat. Tous
ferment des usines. Le marché européen conduit tous les constructeurs à
s’adapter, à réduire leurs coûts, à licencier, à fermer des sites. Renault
n’échappe pas à ces problèmes. Face à cet effondrement du marché, il y a
deux attitudes¤: la première, qui a consisté à dissimuler les problèmes,
reporter les décisions – l’un des deux Français l’a fait¤; l’autre a
consisté à mettre le problème sur la table et agir en toute transparence.
Une attitude à consister à fermer des sites, procéder à des milliers de
licenciements, augmenter le tout de plans de départs volontaires¤; l’un des
constructeurs français a choisi cette stratégie. Renault, sous notre
impulsion, a pris l’engagement de ne fermer aucun site dans le cadre du plan
automobile. »
Mais c’était en juillet dernier.
« Non seulement c’était en juillet mais c’est pour la durée des aides qui
sont renouvelables tous les ans dans la loi de finances. »
Comment expliquez-vous que Renault ait
mis en balance un accord de compétitivité et des fermetures de sites ?
« La direction a démenti ce point important et le gouvernement a rappelé
Renault à ses engagements qui sont toujours d’actualité même s’ils ont été
pris en juillet. Par ailleurs, il y a une autre attitude qui a consisté à
distribuer des dividendes et finalement à procéder à des mesures de confort
financier pour les actionnaires – un constructeur l’a fait – une autre
attitude a consisté à ne plus distribuer de dividende Renault – les
dividendes distribués viennent de Nissan qui est très prospère – et nous
avons demandé à Carlos Ghosn de faire un effort sur ses émoluments comme
dirigeant de Renault. »
De quel ordre ?
« Important et significatif. Je n’ai pas de chiffre à donner. En tout cas, à
la mesure de ce que la cohésion de l’entreprise nécessite. »
Vous lui avez demandé ?
« C’est une de nos demandes, nous verrons bien comment il y répond. Pour
l’instant, je préfère laisser les partenaires sociaux discuter mais cette
demande du gouvernement a été formulée publiquement par moi-même et Pierre
Moscovici. On a beaucoup parlé des 7 500
suppressions de postes mais je voudrais attirer l’attention sur le fait
qu’il est impensable et qu’il me paraît déraisonnable d’assimiler ce plan,
qui est un plan de non-remplacement de départs à la retraite et de gel
d’embauches, à un plan de licenciements où même un plan de départs
volontaires. Pour une raison simple : tous les jours, dans les collectivités
locales, dans l’Etat, nous procédons à des non-remplacements qui ne portent
atteinte à aucun contrat de travail. Personne ne perdra son travail dans ce
type de stratégie de gestion des effectifs. Il n’est pas possible
d’assimiler un non-remplacement, un gel des embauches à des ruptures forcées
des contrats de travail. Le gouvernement sera d’une fermeté inflexible:
pas de fermeture de site industriel, maintien des outils de production,
refus des licenciements et, surtout, nous avons ajouté une exigence qui est
une grande première. Nous avons demandé une relocalisation d’activités
productives sur le sol français de l’alliance Renault-Nissan. »
Quelle est, à ce jour, la réponse de Renault ?
« C’est dans la discussion de l’accord de compétitivité. On a mis sur la
table non seulement des relocalisations de modèles français fabriqués hors
de France, mais aussi des relocalisations de véhicules des partenaires de
Renault sur le sol français. »
C’est le cas avec un utilitaire Nissan
pour l’usine de Sandouville ?
« J’ai évoqué Nissan et j’ai noté qu’il n’y avait aucun démenti de Renault.
Je ne peux pas aller plus loin pour des raisons industrielles. »
Idéalement, que doit ramener Renault sur le sol français ?
« Ce que je crois nécessaire, c’est que dès lors que des efforts sont faits
par les partenaires sur la compétitivité, il est normal qu’il y ait une
augmentation des investissements en France et qu’en contrepartie, il y ait
des relocalisations significatives chaque année à la fois de Renault mais
aussi des partenaires qui auraient pu choisir un autre pays. Pour moi,
l’objectif numéro 1 du gouvernement, est de ramener en France et de
relocaliser le plus possible d’activités industrielles et productives sur
les sites Renault. »
Les relocalisations espérées seront-elles suffisantes pour que les
usines retrouvent leur pleine charge?
« Notre objectif est de faire en sorte que des usines qui travaillent en
sous capacité retrouvent leur productivité et leur force. La direction a
évoqué dans la négociation, qui est entre les mains des partenaires et dans
laquelle le gouvernement ne veut pas intervenir, que la production de
Renault peut aller à 750¤000 véhicules produits en France d’ici à 2016.Soit
plus de 200¤000 véhicules de plus qu’aujourd’hui. Ce sont là des
perspectives positives dans la mesure où le gouvernement mène une politique
de relocalisation tous azimuts sur le sol français. A Maubeuge, le Kangoo et
le Kangoo électrique sont évidemment sécurisés. A Douai, les investissements
pour les successeurs du Scénic, de la Laguna et de l’Espace sont sécurisés
aussi. A Flins, le site est pérennisé grâce la Clio 4 et la Zoé.Nous sommes
très vigilants à ce que Renault, progressivement, rapatrie la Clio 4 en
France ; elle est actuellement produite à 70 % en Turquie et nous souhaitons
parvenir à une production de 50 % en France le plus tôt possible.S’agissant
de Dieppe, le site va connaître un nouvel élan avec l’Alpine. A Batilly, le
Master continuera d’être produit sur le site et nous comprenons que
Sandouville est le lieu où les relocalisations pourront intervenir, y
compris de la part des partenaires. C’est le sens des discussions dans
l’accord recherché par Renault. L’enjeu central de la négociation consiste à
savoir si 715 000 véhicules faits en France est suffisant. Nous sommes à
moins de 500¤000 aujourd’hui et il n’existe pas de sites dans le monde
chargés à 100 %.On ne peut pas garder éternellement des sites à 50 %. Tout
l’enjeu est de les faire monter en charge et, d’une certaine manière, de la
part d’un constructeur qui subit 20 % de baisse de marché, comme tous les
autres en Europe, ce sont des décisions qu’il faut soutenir et encourager ».
Ces relocalisations sont-elles crédibles à vos yeux ?
« Il est bien certain que Renault a conditionné ces relocalisations, qui
pour nous sont importantes et massives et qui constituent un signal de
renaissance de la production en France, à la signature d’un accord. Il m’est
difficile de me prononcer sur un accord parce que cela relève des
concessions que les partenaires sociaux vont échanger, mais je trouve qu’il
y a des contreparties aux efforts demandés aux salariés. »
Visiblement, cet accord inquiète des
salariés qui débraient. Certains le jugent inacceptable. Pour un ministre
socialiste, un accord qui prône gel des salaires, une plus grande
productivité et de la mobilité, est-il acceptable ?
« Il faut regarder quelle est la situation de l’industrie automobile
européenne qui licencie et ferme des sites. Qu’est-ce que Renault propose¤?
Tout le contraire¤: pas de licenciements, des départs volontaires
exclusivement fondés sur la pénibilité pour les plus de 58 ans – ce qui est
extrêmement populaire dans les familles – et l’augmentation de la charge des
sites. Au fur et à mesure, même s’il y a un gel des embauches pour
l’instant, possiblement il y aura une reprise des embauches si le marché
repart. Finalement, c’est une protection des
intérêts industriels et des intérêts sociaux des salariés. Quelle est la
nature des efforts demandés ? Le gel des salaires pendant un an, puis la
reprise, en 2014 et 2015, des hausses des salaires limitées à l’inflation,
plus des primes d’intéressement selon les résultats de l’entreprise. Ce sont
des propositions qui peuvent être discutées mais qui me paraissent être, par
rapport aux risques que court l’industrie française et européenne, des
efforts modérés. Sur le temps de travail, Renault demande la mise à niveau
des 35 heures, soit une augmentation du temps de travail de 6 % pour tous
les salariés qui sont sous les 35 heures. Ce qui me paraît être,
là encore, une demande modérée par rapport aux risques de pertes d’emploi
que connaît toute la filière. Et je puis aussi parler des entreprises
sous-traitantes qui, aujourd’hui, sont en dehors de toutes ces possibilités.
Et là, ce sont des fermetures. J’ai aujourd’hui soixante-dix entreprises
sous-traitantes en procédure de faillite devant les tribunaux de commerce et
dont je m’occupe. Je préfère des efforts modérés, mais des efforts certes,
plutôt que de faillites, des fermetures et des pertes de substance
industrielle. Pour moi, sauver Renault, augmente la charge de Renault est
crucial pour tous les salariés de la sous-traitance qui mordent la
poussière. Renault n’est pas seul au monde, il y a aussi des sous-traitants.
Qu’il y ait 715¤000 véhicules au lieu de 500 000, cela fait du travail pour
toute la filière. Le plus difficile dans cet accord, c’est la mobilité,
c’est vrai. Mais pourquoi les partenaires sociaux n’échangent pas de
concessions ?J’ai cru comprendre que la direction était capable d’échanger
des concessions réciproques, de faire des efforts. Si elle considère que la
mobilité est indispensable, qu’est-ce que les salariés peuvent avoir en
échange ? J’invite les partenaires sociaux – voilà la position du
gouvernement – à s’emparer de toutes les possibilités de cet accord pour
négocier des contreparties sérieuses, des éléments de protection
supplémentaires contre les efforts qui sont demandés. »
Le rendez-vous pour la signature de
l‘accord est mardi. Que se passe-t-il s’il n’y a pas signature ?
« Je compte sur les partenaires sociaux pour arriver à trouver un équilibre
dans les concessions réciproques parce que dans les accords, généralement,
tout le monde a raison et tout le monde a tort. Les salariés ont raison de
dire qu’ils font un effort et que c’est difficile pour eux ; La direction a
raison de dire qu’elle a besoin d’améliorer la compétitivité pour
relocaliser en France dans la mesure où il y a une guerre mondiale sur les
prix de l’automobile. Les salariés n’ont pas tort de dire que ce n’est pas
le moment de limiter les hausses de pouvoir d’achat mais c’est mieux que des
pertes d’emplois. En même temps, la direction de Renault n’a pas tort de
dire que mettre sur la table des centaines de milliers de véhicules en plus
pour charger les usines, c’est précisément ce que demandent les syndicats
depuis des années. »
Carlos Ghosn ne prévoit pas d’augmentation des ventes en Europe.
« Le problème de Renault est d’interrompre la descente pour le moment et de
monter en gamme. C’est ce qu’a entrepris la direction de Renault en
redessinant toute sa gamme et en montant en gamme sur la totalité des
produits. C’est-à-dire vendre plus cher le travail des salariés de Renault
pour mieux les payer. Il faut interrompre la low-costisation de l’automobile
française. »
Renault est-il armé pour monter en gamme ?
« Que Renault décide de réinvestir dans la montée en gamme – je n’ai pas dit
le haut de gamme – est une preuve de foi dans son avenir et dans l’industrie
automobile française. Daimler et Toyota produisent des véhicules en France
et exportés partout dans le monde. Toyota a relocalisé en France 25¤000
véhicules exportés aux Etats-unis. 100 % des Smart vendues dans le monde
sont faites en France. Il n’y a pas de fatalité¤; les constructeurs
allemands n’étaient pas dans cette situation il y a dix ans. Ils ont
construit cette montée en gamme et ce sont, d’ailleurs, les leçons du
rapport de Louis Gallois. Il pense qu’il faut agir de cette manière dans
toute l’industrie française. »
Est-ce à dire que Renault doit par
exemple se désengager de Dacia pour éviter la confusion des marques ?
« Je ne dis pas cela. Low-costisation, c’est pour ses propres marques,
celles qui portent le losange. On vend de moins en moins cher et on ne
résiste pas à la concurrence low cost.On n’a pas encore la qualité de montée
en gamme. Le fait que Renault investisse dans le design et l’innovation avec
les véhicules électriques est un tremplin fondamental que nous soutenons et
que nous accompagnons. »
Que pensez-vous du projet de Sandouville porté par des salariés qui
consisterait à monter une filière de déconstruction automobile ?
« Nous considérons, dans le plan automobile, que
le projet de déconstruction est une proposition intéressante.Nous avons
engagé un certain nombre de mesures concrètes pour remettre en œuvre la
filière de véhicules hors d’usage qui, en France, font l’objet d’une
exportation excessive à travers des trafics auxquels nous avons décidé de
mettre fin avec Manuel Valls en démantelant les filières d’exportation
illégales et de manière à solvabiliser la filière de déconstruction. Les
premières mesures sont donc des mesures de protection du champ de la
déconstruction avant même de mettre en mouvement la déconstruction elle-même
et la récupération des matériaux. Nous terminons cette vague de contrôles
sur le territoire. Il y avait un décret mais il n’était pas appliqué. Nous
faisons appliquer les textes. Il est évident que le projet de déconstruction
intéresse le gouvernement et pas seulement dans l’automobile mais aussi le
naval et l’aérien. Nous avons des projets dans tous les domaines et nous
envisageons, avec Delphine Batho, d’aller plus loin avec l’économie
circulaire. Les industriels devront installer dès la conception même de
leurs produits le projet de récupération des matériaux. Ce qui, d’une
certaine manière, permet de lutter contre un certain nombre d’importations.
»
Ce projet peut-il être soutenu par le gouvernement auprès de Renault
?
« C’est surtout quelque chose que nous allons faire avec les collectivités
locales et tous les constructeurs. »
Irez-vous dans les usines pour vous adresser directement aux
salariés ?
« Je suis allé à Maubeuge et à Cléon, qui sont deux très belles usines. »
Et dans les usines les plus inquiètes ?
« Celles qui sont inquiètes sont les usines qui feront, précisément, l’objet
des apports de charges dans le cadre du plan de relocalisation de Renault,
que ce soit Sandouville, Douai et Flins.Et nous y veillerons
particulièrement puisque Renault a pris l’engagement auprès du gouvernement
de ne fermer aucun site, à ce que tous les sites soient chargés à un haut
niveau dans le temps de l’accord, jusqu’en 2016, au fur et à mesure du
renouvellement de la gamme Renault. C’est notre préoccupation. »
Propos recueillis par
Stéphane Siret
(Paris Normandie Internet)
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