Figure aussi bien incontournable qu'incontestée du militantisme syndical, Anita Menendez prend officiellement sa retraite de la CGT le 1er janvier. L'idée de rédiger un livre lui trotte heureusement dans la tête : les souvenirs ne manquent pas.
Anita Menendez, sur le siège de l'utilitaire rouge de la CGT, d'où elle a guidé tant de manifestations. Elle prend sa retraite de la section CGT chômeurs, « la seule qui ne voudrait pas d'adhérents » (photo T. D.)
Ce jour-là, Anita
Menendez est fatiguée. Mercredi 5 décembre : le conflit Ceacom vient
tout juste de se terminer. Sept jours de grève, plusieurs piquets
très matinaux… Et, au final, une victoire revendiquée par l'union
locale CGT du Havre, qui aura arraché des négociations et une prime
de fin d'année pour les salariés de l'entreprise.
« C'était un beau mouvement, avec des jeunes qui n'ont pas forcément
connaissance des luttes syndicales », assure Anita Menendez, du haut
de son mètre cinquante et de ses quarante années au service de la «
grande dame », comme elle aime à surnommer la Confédération générale
du travail. « J'y ai trouvé des valeurs de fraternité, de tolérance,
de solidarité. » Depuis l'an 2000, elle y avait même trouvé un
emploi. Anita, 60 ans, sera officiellement retraitée de la CGT mardi
1er janvier.
Anita, connue de tous et depuis longtemps pour sa voix guidant les
manifestations havraises. Incontournable, apparemment infatigable,
la militante compte bien profiter néanmoins de sa nouvelle liberté.
« Je resterai à disposition de l'union locale, mais je veux du temps
pour moi », prévient-elle. Pour faire du sport, peut-être un peu de
politique (lire ci-dessus), et pourquoi pas écrire un livre. Cela
fait un moment qu'elle y songe. « Je ne sais pas encore si je vais
le publier, même si on m'y pousse beaucoup. J'ai surtout envie de
l'écrire pour mes enfants. » Leur expliquer pourquoi, au début des
années 2000, elle passa ses mois de décembre à battre le pavé pour
la prime de Noël des chômeurs plutôt qu'à parcourir les magasins de
jouets. « Je sais que ma présence a manqué auprès de mes trois
filles, confie Anita. Ce n'est pas facile d'être femme et militante.
»
Au départ,
Auchan ne voulait pas m'embaucher. Au final, ils l'ont regretté !
La « grande dame » lui a beaucoup pris. Mais aussi beaucoup appris,
lui renvoie la jeune retraitée. Surtout depuis qu'elle s'est dévouée
entièrement à la cause des privés d'emplois. « Mon livre sera
sûrement axé sur eux : ces gens m'ont fait grandir ! » Après être
passée elle aussi par la case RMI, c'est pour porter leurs
revendications qu'Anita Menendez est devenue naturellement une
permanente de la CGT, il y a douze ans, jusqu'à occuper un mandat
national. Localement, elle prend la tête, fin 1999, d'un comité des
chômeurs en difficulté. Elle s'empresse de le transformer en section
syndicale indépendante, non sans efforts. « Même à la CGT, il
fallait lutter contre l'image négative du chômeur : celle du
feignant alcoolique… C'est pour ça que j'ai toujours veillé à
l'absence d'alcool lors de nos manifestations. Il n'y a jamais eu de
casse. »
De là à dire qu'Anita est un agneau… Pour sauver l'emploi, « il n'y
a que la lutte », acquiesce-t-elle. Montrer les dents, elle sait
faire. Brûler les pneus aussi, malgré l'apprentissage parfois
chaotique. « La première fois, j'avais oublié d'enlever les jantes.
» Ses quatre décennies de syndicalisme sont autant d'anecdotes
turbulentes, matière évidente à noircir des pages et des pages.
Cible privilégiée de ses coups de gueule légendaires : le Medef.
L'antenne patronale locale lui doit le concept de murage de son
entrée, repiqué depuis par l'union locale CGT. « J'ai eu l'idée en
2000 : à l'époque, ils nous expliquaient qu'on ne trouvait plus de
maçons. »
Mais Anita Menendez garde surtout le souvenir de la deuxième
tentative, soldée par une interpellation devant les caméras de
télévision. C'était en 2004, en plein mouvement de soutien aux
chômeurs recalculés. Cette même cause qui poussa leur égérie à
s'enchaîner à l'écluse François-1er, bloquant ainsi le
fonctionnement du port le temps d'une opération médiatique.
Tous mes combats
ont été remportés. Quand on est chômeur, on n'a plus rien à perdre
A l'heure de compiler les souvenirs, « je ne sais pas trop par où
commencer », sourit Anita. Par le début, peut-être ? « Je vais
forcément parler de mon père, oui. » Militant espagnol condamné à
mort sous Franco, échappé en France dans les bagages du cirque Amar…
Voilà qui forge une personnalité. « Mon père a pu rester en France,
à condition qu'il n'y fasse pas de politique », raconte sa fille. «
Alors moi j'en ai fait. Je suis entrée au Parti Communiste vers
13-14 ans. »
PC, CGT… Les deux maisons sont alors intimement liées. C'est donc
naturellement vers la deuxième que la jeune Menendez se tournera,
lorsque viendra l'envie d'en découdre avec le patronat.
L'hypermarché Auchan lui est ainsi redevable de sa première section
syndicale, dans les années 70. « Au départ, ils ne voulaient pas
m'embaucher. Au final, ils l'ont regretté ! Je leur ai mené la vie
dure. » Mais la réciproque est aussi vraie. Sa mère et sa sœur,
employées du même centre commercial, feront les frais de son
engagement, maintient Anita. Encore aujourd'hui, elle reste
persuadée que son patronyme rend plus difficile la quête de travail
de ses filles.
Pourtant, jamais l'idée de rendre sa carte ne lui a traversé
l'esprit. Même lorsque, au chevet des sans-emploi, le constat de
leur situation ne fait que s'aggraver au fil des ans. « Sur certains
dossiers, tu te demandes jusqu'où ira la souffrance. Comment on fait
pour garder la foi ? Le soir, on s'allonge sur son lit et on pleure
un bon coup. » Puis la lutte reprend. « Tous mes combats ont été
remportés. Quand on est chômeur, on n'a plus rien à perdre. »
Les privés de travail devront pourtant apprendre à se priver
progressivement d'Anita. Tout comme les cortèges de manifestants
habitués à défiler derrière la voiture rouge de la CGT. « Je me
souviens du compte rendu d'un 1er Mai auquel je n'avais pas
participé. Le journaliste l'avait comparé à une marche funéraire.
Jean-Paul Lecoq (maire PC de Gonfreville, N.D.L.R.) m'a dit : '' Ne
nous refais jamais ce coup-là ! '' »
A vrai dire, sa retraite ne devrait pas l'empêcher de donner de la
voix contre le pouvoir en place. Qu'il s'agisse de slogans
scrupuleusement peaufinés à l'avance, ou des cris du cœur
revendiquant leur outrance. « Je pensais sincèrement que Sarkozy
était dangereux ! » affirme Anita, en référence à un gimmick
régulièrement entendu ces cinq dernières années. Et François
Hollande ? « Pour l'instant, il n'a rien proposé en matière
d'emploi, hormis les contrats d'avenir, qui ne sont que de la
précarité en plus. » Le président socialiste doit donc se préparer à
recevoir à son tour quelques saillies mémorables, depuis le siège
passager du Kangoo rouge.
Anita ne possède pas le permis. « J'ai arrêté au bout de la deuxième
leçon, quand le moniteur m'a engueulée. Moi, on me gueule pas dessus
! »
A elle seule, la confidence en dit déjà bien plus qu'un roman.
Avec les
communistes pour les municipales de 2014
Soucieuse jusqu'alors de ne pas mélanger engagement syndical et
politique, Anita Menendez ne s'étendait guère sur ses attaches
communistes. Cela ne l'a pas empêchée de figurer sur les listes
menées par Daniel Paul lors des deux dernières échéances
municipales. Et pour 2014, elle compte bien se mettre à nouveau au
service de « son » parti. « Si mon nom peut aider, j'y vais ! »
Derrière qui ? « Jean-Paul Lecoq ou Nathalie Nail, je les aime tous
les deux. Par contre, si c'est un socialiste qui prend la tête de
liste, je n'irai pas. On les a déjà au gouvernement ! » Le PS est
prévenu.
Le Havre, sa ville…
Son quartier, c'est Caucriauville. « Mélange de cultures, de
populations. J'aime les gens qui y vivent, et contrairement aux
idées véhiculées, j'ai toujours pu y sortir mon chien
tranquillement, le soir. » Sans surprise, Anita assure aimer sa
ville du Havre, « mais pas sa politique ». « Ils veulent en faire
une ville touristique avec un casino, une belle plage, pendant que
les ouvriers souffrent. Moi, j'aimerais voir les usines refleurir. »
Thomas Dubois