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Lundi 29 Octobre 2012 :

 

Chronique

A quoi va servir la BPI ?

Par Jean-Christophe Le Duigou (*)

Avant même d'être portée sur les fonts baptismaux, la Banque publique d'investissement (BPI) vient de connaître son premier « couac ». En écartant le principe d'une intervention dans le dossier « Arcelor-Mittal », son nouveau président, Jean-Pierre Jouyet, jette le trouble. A quoi va bien alors servir la nouvelle institution financière dans laquelle l'État et la Caisse des dépôts se partagent la gouvernance ?

Cette structure bancaire publique va concentrer les principales interventions financières de l'État dans le financement des entreprises. La BPI doit notamment permettre de favoriser le développement des PME et des entreprises de taille intermédiaire. Ces dernières sont particulièrement concernées, l'objectif étend d'augmenter leur nombre et leur présence à l'exportation. La BPI va identifier celles qui sont en croissance et les soutiendra dans leurs projets d'innovation et d'exportation. Seront privilégiées celles qui participent à « la conversion écologique énergétique de l'industrie ou encore relèvent de l'économie sociale et solidaire ». Mais on est en droit de s'interroger : la BPI va-t-elle représenter une couche supplémentaire d'aides octroyée aux entreprises ou au contraire signifiera-t-elle une rationalisation et un contrôle des sommes actuellement versées ?

Rien ne garantit à ce stade que la logique d'intervention de la BPI se distingue fondamentalement de celle qu'imposent les fonds d'investissement privés. « La BPI sera un investisseur avisé », ajoute Jean-Pierre Jouyet. Certes. Mais devra-t-elle alors avoir un souci de « rentabilité » au même titre que les fonds aux côtés desquels elle interviendra ? C'est pourtant ce qui a plombé l'activité du Fonds stratégique d'investissement, créé en 2008, qui devient l'une des trois composantes de la nouvelle banque à côté de la filiale « entreprises » de la Caisse des dépôts, qui investit en partenariat et privilégie les PME dites « de croissance », et d'Oséo, qui joue le rôle de banque auprès des entreprises innovantes. Ces trois outils seraient étroitement coordonnés au sein de la BPI, qui incarnera donc une sorte de « guichet public unique » dans toutes les régions. Ces dernières seront appelées à participer à la gouvernance. Cela suffit-il pour assurer une intervention qui prenne bien en compte l'intérêt des filières d'activité malmenée par les puissants fonds d'investissement privé ?

On peut avoir un doute au vu du caractère limité des moyens mobilisés. Les actionnaires principaux de la BPI seront l'État et la Caisse des dépôts. La Banque publique aura bien une capacité nominale d'intervention de 42 milliards d'euros comme l'a indiqué la semaine dernière le ministre de l'Économie et des Finances, Pierre Moscovici. Cette somme se divisera en une capacité de 20 milliards d'euros en prêts, une capacité en garanties de 12 milliards d'euros et une capacité d'investissement de 10 milliards d'euros en fonds propres. Le ministre a bien parlé de « capacités mobilisables sur 5 ans », ce qui relativise encore les engagements annuels. Ils sont surtout à mettre en rapport avec les moyens d'intervention de l'équivalent allemand de la BPI, le fameux Kreditanstalf für Wiederaufbau (KfW), qui affiche un bilan de plus de 500 milliards d'euros et dispose d'un volume d'aides de plus de 70 milliards d'euros.

La création de la BPI n'assure donc pas que les entreprises vont trouver les moyens de financement indispensables. On peut craindre que la nouvelle institution ne devienne la béquille d'un système financier trop content de lui transférer une bonne partie des risques qu'il ne veut plus assumer. Aussi, si l'on peut approuver la création d'une Banque publique d'investissement, on ne peut en rester là. La création d'un véritable « pôle public bancaire et financier », socle d'une nouvelle politique de financement de l'économie, doit s'imposer dans ce débat essentiel. Cette BPI pourrait être alors la première pierre de ce pôle financier public dont la création est absolument nécessaire.

(*) Économiste et syndicaliste

 

(L'Humanité Dimanche)

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