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Dimanche 28 Octobre 2012 :

 

Chronique

Schröder : une référence ?

Par Francis Wurtz (*)

Pressé de dire si « la baisse du coût du travail (était) sortie du radar » du gouvernement, Pierre Moscovici, ministre de l'Économie et des finances, vient de lâcher : « Il y aura un véritable agenda de compétitivité dans les tout prochains mois. Ce n'est pas long ! Gerhard Schröder a attendu quatre ans. » Déjà, le 27 septembre dernier, sur France 2, le premier ministre lui-même a eu cette sortie plutôt insolite : « Schröder a eu besoin de deux mandats pour faire ses réformes, nous les ferons des maintenant ! » Le déconstructeur de l'État social allemand serait-il devenu une référence, même partielle, du gouvernement ? Sur un sujet aussi sensible, l'ambiguïté n'est pas permise. Rappelons donc, une fois de plus, quelques-uns des ingrédients de l'« agenda 2010 » lancé outre-Rhin, il y a une dizaine d'années, par le précurseur du « choc de compétitivité ». D'abord, à propos des retraites : l'âge légal y est porté progressivement à 67 ans. Les cotisations augmentent et les pensions diminuent (à 46 % du salaire ! ». À côté du régime de base, par répartition, est créé un fonds d'épargne-retraite par capitalisation. Un certain nombre d'avantages fiscaux des retraités sont rabotés.

Dans le même temps, le marché du travail subit des coups de massue des « lois Hartz ». En vertu de ces « réformes », un chômeur doit accepter tout poste qui lui est proposé par l'agence pour l'emploi, fût-ce avec un salaire inférieur à son indemnité chômage. Des « minijobs » sont institués, ultraprécaires et payés moins de 400 euros par mois, les entreprises concernées étant, en outre, exonérées de cotisations sociales sur ces « emplois ». Quand aux travailleurs âgés, ils sont particulièrement dans le collimateur : chômeurs, ils n'ont droit à une allocation qu'à la condition d'avoir travaillé durant un an au cours des deux dernières années écoulées. La durée du versement de l'allocation chômage passe, elle, de 32 à 12 mois. Passé ce délai, les chômeurs de longue durée, à la place des 57 % du dernier salaire qui leur étaient accordés jusqu'alors, ne perçoivent plus qu'une sorte de RMI de 345 euros – cette allocation de suivie pouvant être réduite si le conjoint travaille, si le patrimoine excède 1300 euros ou si la famille proche à des économies…

Inutile de dire que, si le nombre des chômeurs reconnus a sensiblement baissé depuis la mise en œuvre de cette purge, la précarité et la pauvreté, elles, ont explosé dans l'« économie la plus compétitive d'Europe » ! L'Office allemand des statistiques chiffre à un quart de la population du pays (!) le nombre de personnes menacées de pauvreté avant transferts sociaux. Il situe même à 36 % la proportion de retraités exposés au même risque ! Même les enfants ne sont pas épargnés : à Berlin, un sur trois vit dans la pauvreté. Avoir un emploi ne suffit plus pour se libérer de cette oppression : ils sont officiellement plus de 20 % parmi les salariés des entreprises de plus de dix employés à être classés parmi les pauvres. 2,5 millions d'entre eux cumulent de postes de travail pour vivre. En 2010, un salarié sur quatre gagnait en Allemagne moins que le SMIC horaire français ; 1,4 millions d'entre eux touchaient moins de 5 euros par heure. Certes, tous les Allemands ne partagent pas ce sort : les 10% les plus fortunés d'entre eux se partagent nettement plus de la moitié des richesses du pays, tandis que les 50 % les plus pauvres en détiennent 1 %, soit quatre fois moins qu'avant l'ouragan Schröder. Aussi ne peut-on attendre d'un gouvernement de gauche qu'il cesse franchement et définitivement de voir dans une telle hécatombe des droits sociaux la moindre source d'inspiration ?

(*) Député honoraire du Parlement européen

(L'Humanité Dimanche)

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