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Vendredi 26 Octobre 2012 :
Éditorial La compassion et la raison Par Maurice Ulrich Pour le Figaro et son délirant chroniqueur économique, ceux des salariés de Presstalis qui rejettent la perspective des suppressions d'emplois dans l'entreprise de distribution de la presse ne sont pas autre chose que « des sauvageons », tandis que d'une manière générale les salariés grévistes, qu'ils soient dans le secteur privé ou public, sont « quelques excités encartés à la CGT, chez SUD à la CFDT ». Ce qui est excessif ne compte pas, dit-on. Balayons donc d'un revers de main les propos hallucinés d'un drogué de l'ultralibéralisme, mais le regard porté sur les salariés, sur les hommes et les femmes qui produisent les richesses et sont les seuls facteurs de croissance réelle, est tout de même assez singulier. Ah, certes, on voit des micros et des caméras aux portes des entreprises. Mais c'est pour filmer des larmes ou des bribes de mots de colère. L'émotion, oui, bien sûr, la compassion parfois, mais pas la raison, jamais la raison. Quand, sur nos chaînes, a-t-on vu, que ce soit pour PSA, pour Sanofi, les autres entreprises dont les responsables syndicaux avancent ici des propositions, des idées, des alternatives, quand a-t-on vu de vrais débats contradictoires portant sur le fond, prenant au sérieux les arguments des salariés et de leurs représentants ? Tout se passe comme ci n'avaient de valeur que les fausses évidences patronales ou les truismes du « réalisme » économique. Lequel réalisme n'est que l'alibi de ceux qui ne veulent surtout pas toucher à ce désordre des choses qui veut que l'on réponde aux actionnaires tandis que la parole et l'intelligence des travailleurs font l'objet d'une véritable omerta. On peut remarquer au passage qu'une omerta du même ordre s'applique aussi à tous les économistes qui s'inscrivent en faux contre le cours dominant. C'est là-dessus, d'abord, que le changement de majorité était attendu. Le changement c'était maintenant, mais maintenant se fait attendre, tandis que les plans sociaux se succèdent comme jamais. Ce n'est pas en enfilant une marinière que l'on mettra un terme aux licenciements boursiers. Il est vrai que les mots ne sont plus ceux de la haine ou ceux du mépris, quand bien même le gouvernement jusqu'alors semble avoir été plus sensible aux plaintes patronales et aux envolées des pigeons qu'aux attentes de salariés. Quand va-t-il se décider à prendre réellement en compte le fait qu'ils ne sont pas un problème appelant au mieux des protocoles compassionnels, mais qu'ils sont, pour faire court, l'essentiel des solutions ? Quand va-t-il enfin considérer que c'est avec de l'intelligence collective, avec de la mise en commun des propositions que l'on peut avancer. Comment ne pas évoquer ici, comme un véritable déni de parole, le scandale de la décision, pour Petroplus, d'un tribunal de commerce tenant même pour nulles les perspectives de reprise de la raffinerie ? Quelle image de la bonne conscience repue que l'on croirait venir du XIXe siècle ! On a bien entendu le premier ministre, hier sur France Inter, rendre un hommage appuyé aux cheminots. On a entendu aussi que l'État et les salariés seraient désormais représentés à la tête de PSA. Mais ce ne peut être pour y faire de la figuration ou pour donner le change en justifiant de cette manière la garantie apportée par l'État à la banque PSA. On a hier matin entendu effectivement d'autres mots que ceux de la haine de droite, de la compassion de gauche, mais il faut passer aux travaux pratiques et changer de perspective. (l'Humanité)
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