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Dimanche 21 Octobre 2012 :

 

Les trous de mémoire du comité Nobel

Par Francis Wurtz (*)

Les membres du comité du prix Nobel de la paix, qui ont décerné leur prestigieuse distinction à l'Union européenne, ont délibérément ignoré le bilan des « 27 » dans le domaine qui les concernait. Trois exemples significatifs suffiront à illustrer combien la politique extérieure et de sécurité de l'UE et de ses États membres tourne le dos à un engagement en faveur d'une Europe et d'un modèle de paix.

Premier exemple : la guerre d'Irak, en mars 2003. La majorité du Conseil de sécurité des Nations unies, les inspecteurs de l'ONU sur le terrain, le chef de l'État français et le chancelier allemand, ainsi que 10 millions de manifestants dans les rues, le 15 février, s'opposent à la guerre. Huit autres États de l'UE se rangent derrière Washington en feignant de croire au mensonge d'État de Colin Powell à l'ONU. Ce sont eux qui donneront le ton par la suite, au sein de l'UE. Ainsi, dès le mois de juin suivant, l'UE, dans sa totalité, adoptera un texte fixant la « stratégie européenne de sécurité » (toujours en vigueur ! », qui sera présentée à George W. Bush avant même son adoption définitive qui empruntera au chef de guerre américain nombre de ses concepts dangereux, allant jusqu'à qualifier la coopération militaire États-Unis-UE de « formidable force au service du bien dans le monde »! On en aura une illustration en Afghanistan…

Deuxième exemple : Le Proche-Orient, où l'impunité accordée aux dirigeants israéliens et l'abandon politique du peuple palestinien constituent l'une des sources essentielles de l'insécurité du monde. En décembre 2005, les chefs des missions diplomatiques des États de l'UE à Jérusalem Est adressent au Conseil européen un rapport circonstancié et alarmant sur toutes les pratiques illégales des autorités israéliennes visant à rendre impossible l'établissement futur d'un État palestinien. Ils recommandent toute une série d'initiatives politiques aux dirigeants européens, conformément aux résolutions pertinentes de l'ONU. Ce rapport ne sera ni publié ni suivi du moindre effet, tout comme les autres rapports qui suivront au fil des ans. Bien au contraire, l'UE vient de récompenser les fauteurs de guerre en renforçant spectaculairement les relations bilatérales UE-Israël dans 60 domaines, allant de l'énergie aux communications électroniques en passant par la coopération policière. La dimension symbolique, donc politique, de ces « gestes » n'échappe à personne. Elle ne sert pas la paix mais banalise l'occupation, la colonisation, l'humiliation et la guerre.

Troisième exemple : la sécurité du continent européen lui-même. En juin 2008, le nouveau président russe, Medvedev, cherche à imprimer sa marque. Il propose aux États de l'UE et à l'Occident en général l'ouverture d'une négociation pour l'élaboration collective d'un « traité paneuropéen de sécurité ». Celui-ci devait intégrer toutes les questions de sécurité du continent, le contrôle des armements et de désarmement. Seule condition : que l'OTAN arrête son élargissement vers l'Est. « La préoccupation de base qui anime M. Medvedev, celle d'une Europe coupée en deux (…), apparaît pertinente », juge alors Fabio Liberti, de l'Institut des relations internationales (IRIS), dans « le Monde diplomatique ». L'Union européenne, elle, ne daignera même pas entamer des discussions exploratoires sur ce projet. Elle préférera donner le feu vert à l'installation du bouclier antimissile sur le sol européen, quitte à accroître les tensions, voire à relancer la course aux armements.

Voilà qui donne une idée des changements à opérer dans l'UE et ses États membres pour qu'ils puissent vraiment mériter un jour le prix Nobel de la paix.

(*) Député honoraire au Parlement européen.

(L'Humanité Dimanche)

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