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Samedi 20 Octobre 2012 :

 

Éditorial

Verrue financière

Par Paule Masson

C'était il y a un peu plus de dix ans, en 2001, le célèbre auteur de roman d'espionnage John Le Carré publiait un livre qui fit l'effet d'une bombe. Dans la Constance du jardinier, l'auteur se lançait dans un réquisitoire implacable contre les pratiques de l'industrie pharmaceutique et l'impunité qui entoure Big pharma, faisant dire à un de ses personnages : « Ces salauds sont dépourvus de tout sentiment, sauf pour le dieu profit. Voilà la vérité. » Vénérer le dieu profit mène à tout. Surtout au pire. L'affaire du Mediator est là pour rappeler que les grands laboratoires préfèrent parler gros sous que santé publique.

Et s'il est un secteur qui a épousé sans complexe l'idéologie de « tout pour l'actionnaire », c'est bien celui-là. On parle beaucoup de Sanofi. Normal, le groupe, qui caracole en tête du CAC 40 depuis des années, réalise 8,8 milliards d'euros de bénéfices, en distribue 4,5 à ses actionnaires et annonce un plan de restructuration qui sabre dans l'emploi et la recherche. Mais la verrue financière gangrène tout le secteur. Comme le montrent nos infographies (voir page 4), chez Apfizer, Merck ou Abbott, la même logique est à l'œuvre. La courbe des dividendes progresse, même quand celle des bénéfices chute. À chaque fois, l'emploi trinque. C'est la variable d'ajustement.

C'était il y a un peu plus de dix ans, un député communiste, Alain Bocquet, utilisait pour la première fois à l'Assemblée nationale le terme de « licenciements boursiers », dénonçant la stratégie du groupe Danone, qui venait d'annoncer la suppression de 1790 emplois dans le monde, dont 750 en France, alors qu'il affichait un bénéfice de plus de 130 millions d'euros. La multinationale espérait ainsi voir son titre prendre en Bourse et rassurer les investisseurs (déjà), comme Michelin l'avait fait deux ans plus tôt. La dictature de l'actionnaire se mettait en place. Mark & Spencer juste après, puis Hewlett-Packard, Moulinex, Aventis (devenu Sanofi), Valeo… on pourrait dresser une liste à la Prévert des entreprises qui licencient, non par nécessité, mais par prévention.

C'est à nouveau le cas de Sanofi aujourd'hui. De tous les plans de restructuration, il est sans doute le plus emblématique quant à la réponse qu'il implique. La parade politique contre les licenciements boursiers va-t-elle enfin voir le jour ? Hier, les syndicats du groupe ont écrit à l'exécutif pour demander, entre autres, un « soutien pour l'adoption d'une loi contre les licenciements à visée boursière ». Une proposition de loi est déposée depuis le mois de juillet par les élus du Front de gauche à l'Assemblée nationale. Elle n'attend que son examen. Le ministre du Travail, Michel Sapin, a assuré, hier sur France Inter, travailler à réformer le licenciement afin que

« le motif soit examiné beaucoup plus tôt et de manière beaucoup plus sûre ». Ce fut un engagement du candidat Hollande, puis un cheval de bataille d'Arnaud Montebourg, puis le « licenciement abusif » ayant été jugé trop difficile à définir, le projet a été un temps relégué. Que la pression salariale syndicale le sorte du tiroir est une bonne chose. Cela ne sera pas une révolution. Mais il est temps d'envoyer un signal. Pour venir à bout d'une verrue, il faut commencer par jeter un peu d'azote dessus.

(l'Humanité)

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