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Samedi 20 Octobre 2012 :

 

« C'est un scandale ! »

Pendu au sommet d'une grue pour obtenir sa paie

À la raffinerie Total du Havre, un salarié ukrainien a menacé de se suicider après avoir été remercié sans salaire.

L'exploitation et le désespoir peuvent atteindre des sommets. La raffinerie Total de Gonfreville-l'Orcher près du Havre (Seine-Maritime) a ainsi été le théâtre d'une scène hautement dramatique, le 8 octobre dernier. « Ce soir-là vers 21 heures, la direction de Total m'appelle pour me faire venir sur le site, parce qu'un salarié était perché en haut d'une grue et menaçait de sauter dans le vide, raconte Philippe Saunier, délégué CGT et secrétaire du CHSCT de la raffinerie. Il ne parlait que russe. Un pompier a réussi à comprendre qu'il avait été viré sans être payé. La direction a prévenu la police, qui a trouvé une traductrice. J'ai appelé l'inspection du travail qui a pris les choses en main. »

Après des heures de dialogue, c'est vers minuit seulement que l'ouvrier accepte de descendre de la grue. Entre-temps, la cellule de crise réunie par Total a réussi à identifier qu'il s'agit d'un salarié de la société portugaise Inside World, sous-traitante d'Eiffel, elle-même sous-traitante de Total. Mais le responsable d'Inside World, convoqué sur les lieux, ne connaît pas la nationalité de l'ouvrier (tuyauteur) ni la raison de son licenciement…

Le lendemain, la convocation des trois sociétés à l'inspection du travail permet d'éclaircir un peu la situation. L'ouvrier, âgé d'une trentaine d'années, d'origine ukrainienne mais détenant un passeport portugais, aurait travaillé en détachement une dizaine de jours pour Inside World, puis aurait été viré sans aucun salaire comme trois autres salariés, qui, eux, seraient partis sans protester. « Son contrat de travail était rédigé en portugais, dénonce Philippe Saunier. Il a découvert qu'il comportait une période d'essai abusive qui permettait à la société de le virer à n'importe quel moment. Mais elle aurait dû de toute façon lui verser son solde de tout compte. Face à l'inspection, elle s'est engagée à lui verser les dix jours de salaire, mais il reste un contentieux sur les heures supplémentaires qu'il dit avoir effectuées. »

Pour le cégétiste, l'affaire révèle, une fois de plus, la surexploitation liée au système de sous-traitance. Pour 1200 salariés Total, la raffinerie emploie en temps normal 800 salariés extérieur. Mais ce nombre grimpe actuellement à 3500 ou 4000 car la raffineries est en arrêt technique (obligatoire tous les six ans pour la maintenance) et en travaux de modernisation. Si la sous-traitance ne dépasse pas le deuxième rang, elle est de plus en plus éclatée en une myriade de petites entreprises avec beaucoup de main-d'œuvre détachée de pays à bas coûts, souligne la CGT. « On a vu des fiches de paie de Portugais à 470 euros par mois, se souvient Philippe Saunier. Parfois, les salariés ont des contrats de travail de façade avec des salaires corrects, mais derrière, ils font beaucoup d'heures non payées. On a même vu des Polonais qui devaient rendre une partie de leur salaire ! Et souvent, ils sont virés dès qu'ils protestent un peu. »

Fanny Doumayrou

(l'Humanité)

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