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Jeudi 4 Octobre 2012 :

 

Éditorial

Le job

Par Claude Cabanes

On lisait hier dans les journaux que le président de la République est « pressé d'en finir avec le débat sur le traité européen ». Le traité ? Quel traité ? C'est la question infiniment simple et infiniment grave que se pose le peuple français qui dans sa très grande majorité ignore jusqu'au b.a-ba du contenu de ce texte. Interrogez vos proches ce soit retour de la table familiale du dîner, consultez vos camarades de travail à l'atelier ou au bureau, joignez vos amis, jeunes ou moins jeunes, et vous découvrirez avec stupeur qu'ils ignorent l'essentiel et parfois même l'existence de ce document. Ils n'en portent aucune responsabilité. Le traité est resté délibérément l'affaire des petits cercles du pouvoir, qui, en quelque sorte, l'ont confisqué pour le faire passer en douce à l'issue d'une procédure parlementaire rapide. Le premier ministre l'a inaugurée hier : le chef de l'État est pressé, c'est le chef de Matignon qui a expédié le « job ».

C'est en effet à la va-vite qu'il faut faire oublier que ce pacte est l'enfant de l'ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, et de la chancelière allemande, Angela Merkel. Et que dans les enceintes parlementaires les élus de l'UMP au grand complet (à quelques unités près) vont rejoindre les élus socialistes pour l'adopter. On avouera que la situation est pour le moins troublante, même pour un électeur ou un esprit de gauche un peu distrait. Hier, Jean-Marc Ayrault s'est efforcé, pathétiquement, de « contrer » cette réalité : messieurs Copé, Fillon et les autres sont dans le même camp que le premier ministre, avocats ardents du traité. Comme le rappelait cruellement le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Christian Jacob, « ce traité est celui signé par Nicolas Sarkozy à la virgule près ». Et le post-scriptum, obtenu par François Hollande il y a quelques mois sur le thème de la croissance, n'est destiné qu'à amuser la galerie.

A gauche, le trouble profond, il gagne du terrain, il fait naître le doute même chez les soutiens du pouvoir. On sait comment il s'est exprimé dimanche dernier dans les rues, et il hante tous les niveaux des formations socialiste et verte.

Hier encore, malgré le forcing et la pression intenses sur le groupe des députés socialistes, la contestation n'a pas perdu de terrain. Un député PS pouvait, par exemple, affirmer sans fioriture : « Le traité sanctuarisera l'Europe des riches et l'Europe des pauvres. » Un de ses collègues tranchait : le texte est une exigence des marchés financiers. C'est donc avec une certaine inquiétude que les dirigeants socialistes envisagent le moment où les votes de droite se mêleront aux leurs.

Dans ce mouvement général, plus de 120 économistes, ce qui n'est pas banal, on en conviendra, mettent en garde contre les dégâts que contient cette mécanique du pacte, qui conforte la désastreuse ligne de l'Union européenne. En réalité, c'est le capital qui cherche de nouveaux territoires et une nouvelle poussée dans ses appétits : il a besoin d'une paupérisation générale des peuples d'Europe. La dette et les déficits en son l'alibi.

Serait-ce donc si subversif que cela de rappeler que les coupables de la crise qui broie notre continent ne sont ni les peuples ni les États, mais les colossales institutions bancaires qui ont ruiné le paysage européen ?

(l'Humanité)

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