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Samedi 29 Septembre 2012 :

 

Éditorial

S'y soumettre, c'est se démettre

Par Patrick Apel-Muller

« Partout en Europe, écrirait Jean Jaurès 1914, la lutte est engagée entre les oligarchies et la démocratie sociale et politique. » Aujourd'hui, les nuées ne s'accumulent pas sur des perspectives de tranchées. Cependant, les politiques d'austérité que planifie le traité budgétaire européen annoncent des régressions considérables pour les peuples du continent, le retour d'un autoritarisme politique qui bride les souverainetés populaires, un ordre communautaire dicté par la bureaucratie de Bruxelles. Angela Merkel, qui alors faisait tandem avec Nicolas Sarkozy, a résumé cela en septembre 2011 dans un nouveau concept « marktkonforme démokratie » en proclamant que « les exigences démocratiques doivent être compatibles avec le marché ». La loi viserait donc à satisfaire la Bourse et à imposer à tous cette logique : telle est la vocation du traité ourdi par la chancelière allemande et Nicolas Sarkozy, un texte strictement incompatible avec la gauche à qui il voudrait interdire les possibilités de légiférer en faveur de la justice et du progrès social. S'y soumettre, c'est se démettre.

C'est précisément ce que les électeurs ont blackboulé au printemps, un régime politique dévoué à l'infime minorité richissime, prêt à sacrifier tous les bonheurs du monde à l'impératif des dividendes maximums. François Hollande l'avait promis lors de sa campagne électorale : il refuserait la règle d'or, le traité Sarkozy-Merkel et les dogmes de l'austérité. C'était le 11e de ses 60 engagements et pas le moindre. Il avait assuré aux électeurs de gauche qu'il résisterait aux conservateurs allemands et imposerait une renégociation. Las, le texte n'a pas bougé d'une virgule après deux petites journées de discussion, fin juin. Et c'est cela qui serait imposé au pays, avec le renfort de voix de la droite au Parlement, trop heureuse du succès posthume des options de Nicolas Sarkozy ? Dimanche, les rues de Paris diront le refus du diktat des marchés, la volonté de décider par référendum de l'avenir du pays et de l'Union européenne, l'aspiration à une gauche de courage. Certains laudateurs du texte Merkel-Sarkozy agitent le péril de la crise politique qu'ouvrirait sa non-ratification. Mais la crise n'est-elle pas déjà là qui malmène nos économies ? Les politiques d'austérité aggravent déjà tous les maux ; elles les décupleraient demain. Le fossé qui se creuse entre les opinions publiques et les réalités de l'Union deviendrait un gouffre. Les replis nationalistes, le rejet des voisins s'amplifieraient. Plutôt que ces paroxysmes, ne vaut-il pas mieux une bouderie de la chancelière ? Et où le président français pourrait-il puiser le plus de force, s'il veut réorienter l'Europe vers plus de justice, sinon dans l'écrasante légitimité d'un vote populaire ? En tout cas, la gauche a besoin d'être nombreuse au rendez-vous de la manifestation de la place de la Nation à la place d'Italie. Plus de 65 organisations syndicales, politiques, féministes ou associatives y convient. D'autres citoyens y ont toute leur place, militants et élus socialistes opposés au traité budgétaire, écologistes attachés à une Europe solidaire, intellectuels qui ne se résignent pas à ce que les rêves soient noyés dans les eaux glacées des calculs égoïstes.

L'opposition de la Confédération européenne des syndicats au traité budgétaire doit être entendue. Elle alerte aussi sur le sinistre cortège des réformes « structurelles » et des déréglementations qui accompagne ce texte. Elle témoigne des solidarités qui peuvent naître entre les peuples dont les révoltes se font entendre aujourd'hui. Loin des haines recuites de l'extrême droite, peuvent ainsi s'unir les étoiles européennes et les plis du drapeau tricolore.

(l'Humanité)

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