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Mardi 25 Septembre 2012 :

 

Éditorial

Le caviar et les haricots

Par Claude Cabanes

Anecdote : j'ai une amie qui a été victime, hier après-midi, d'un léger accident domestique qui nécessitait de recoudre un petit doigt et de radiographier le poignet. Elle a donc filé aux urgences d'un grand hôpital public parisien. Un cauchemar : son attente a duré de 15 heures à 23 heures. Un cauchemar au coeur de la grande ville, et indigne d'elle, qui n'en finit pas depuis des années. Alors, quand cela va-t-il cesser ? Les cerveaux très savants qui s'interrogent sur les sources de la dégringolade des sondages pour l'équipe au pouvoir devraient regarder d'un peu plus près du côté des « choses de la vie », qui ne changent pas d'un pouce...

Et de ce côté-là, du côté des champions du fameux traité budgétaire, ça ne va pas fort, et chaque jour apporte sa pierre douloureuse. C'est le front contre l'austérité qui marque des points, pas à pas. Ainsi, un sondage CSA pour notre journal indique qu'un Français sur deux désapprouve le choix de l'Élysée et Matignon de recourir au vote des députés et des sénateurs plutôt qu'au référendum pour ratifier le texte Sarkozy-Merkel. Cette réprobation va même jusqu'à concerner 38 % des électeurs de François Hollande de mai dernier. C'est dire que le fond – une stratégie d'austérité contenue dans le traité qui conduit à la catastrophe – le fond, donc, est rejoint par la forme – le choix de ne pas donner la parole au peuple... « La forme, c'est du fond qui remonte à la surface », avait conclu Victor Hugo.

Oh, certes, il ne manque pas d'experts de tous calibres pour nous vanter les mérites supposés du traité. Il faut dire qu'à sa manière, chacun des « grands » avocats du pacte – je veux dire Hollande, Ayrault, Fillon, Copé – dispose de son contingent de béni-oui-oui estampillés. Pourtant, sur ce front-là aussi, ça coince : après Joseph Stieglitz, l'économiste américain, prix Nobel en 2001, voilà que le prix Nobel d'économie de 2008, Paul Krugman, monte aussi en ligne contre les politiques d'austérité à l'oeuvre en Europe et annonce leur échec cruel. Il explique ainsi que « l'austérité est destructrice, même sur le plan fiscal ». Il rappelle la responsabilité du secteur financier et des marchés dans l'émergence de la crise et le détournement de culpabilité qu'ils ont opéré sur le dos de l'État. Il s'inquiète du destin de la jeunesse, qui va surtout hériter de « pays sans emplois », ce qui est « plus nocif » que la dette. Il a repéré la composition du régiment qui fait jonction sur le champ de bataille : les conservateurs, le capital et les médias...

Il y a le feu au lac, si l'on en croit les réactions au vote du conseil fédéral d'Europe Écologie-les Verts majoritairement hostiles au traité européen. Ainsi, l'éditorial du journal le Monde invite même le président de la République à chasser du gouvernement les deux ministres Verts dont la formation politique est qualifiée de « groupuscule irresponsable » qui sombre dans « l'incohérence », les « tendances dogmatiques » et... l'ingratitude ! L'éditorialiste rappelle que le Parti socialiste n'a pas servi aux « écolos » un plat de lentilles pour sceller leur accord électoral, mais une cuvette de caviar : 60 circonscriptions législatives... ! Il paraît que Cécile Duflot préfère les haricots du chile con carne... La morale de l'histoire : il faut savoir choisir sa politique et savoir choisir ses alliés. Décidément, la messe du traité n'est pas dite.

(l'Humanité)

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