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Samedi 22 Septembre 2012 :

 

Éditorial

Excès de pudeur

Par Michel Guilloux

Il paraît que « l'accessibilité physique » tue « l'accessibilité financière ».

Tel est du moins l'avis que s'autorise le président de l'autoproclamée Union nationale des propriétaires immobiliers, par ailleurs représentant du parti de Christine Boutin et adoubé par l'UMP dans son département aux cantonales. On ne s'étonnera donc pas que cette organisation qui milite en faveur du développement durable de la spéculation immobilière prône « la suppression de tous les dispositifs incitatifs en faveur de l'investissement locatif et, en contrepartie, le rétablissement d'une fiscalité moins pénalisante pour l'ensemble du secteur locatif ».

Et qu'hier, une idée lumineuse autant que charitable ait germé dans l'esprit de ce monsieur Perrin : construire des appartements low cost et... sans ascenseur. Par charité chrétienne, les personnes handicapées pourraient avoir la faveur, si ce n'est le privilège, de loger au rez-de-chaussée... Il serait encore moins cher de supprimer les toilettes et salles de bains individuelles, et de les collectiviser. Tant de jeunes et de salariés goûtent tant la joie des mansardes d'immeubles bourgeois, à Paris et ailleurs, louées par leurs propriétaires des étages inférieurs à des prix prohibitifs.

Il arrive que « l'accessibilité financière », comme le dit ce monsieur en termes si choisis, prenne déjà le pas sur « l'accessibilité physique ». Dans ce cas, ce qui est tué, ce sont des êtres humains à qui des marchands de sommeil, à l'ombre de leurs sociétés immobilières, louent sans vergogne et sans trop de ces entraves normatives et réglementaires qui déclenchent tant d'urticaire chez ceux qui prônent la loi de la liberté des loyers libres, ces poulaillers libres et incendiaires. C'est arrivé à Saint-Denis récemment. Et ces élus d'une ville à direction communiste – on attend toujours, au passage, que les belles âmes logées ailleurs, elles, qui se réveillent après pareil drame, aillent manifester dans les villes de droite dont l'idéologie ségrégationniste et inégalitaire inspire cet état de fait – décrivent le mur devant lequel ils se trouvent lorsqu'il s'agit pour eux de prendre leurs responsabilités et d'engager des travaux à la place des propriétaires en titre, à défaut de poursuites.

« L'accessibilité financière » n'a pas été tuée non plus par la loi Scellier, moteur à engraissement des spéculateurs immobiliers de lotissements entiers situés dans des zones où « l'accessibilité physique » était si inoffensive qu'il ne s'y trouve point de locataires pour ceux qui ont été aveuglés par ce miroir aux alouettes et à cash-flow. Sur ce point, lorsque la ministre du Logement imagine seulement un nouveau dispositif du même type mais avec la contrainte, somme toute logique, que les logements concernés – avec droit à l'ascenseur – soient construits là où les besoins sont pressants et avec des loyers réellement modérés, l'Agence France-Presse nous informe en termes pudiques qu'« en rabotant, supprimant ou rétablissant mécanismes fiscaux et taux d'imposition, le gouvernement est soupçonné de céder à la tentation de défaire ce qui a été fait par ses prédécesseurs, au prix d'une instabilité fiscale rarement bénéfique à l'économie ».

Ce qui a été « bénéfique à l'économie » et à « l'accessibilité financière » est sans doute la politique de la droite battue qui aboutit, par exemple, à ce que trois millions de mètres carrés de bureaux construits en Île-de-France soient vides, tandis que les offices de logements HLM ont été rackettés et que cette seule région aurait besoin de voir construits plusieurs centaines de milliers de logements.

(l'Humanité)

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