> Presse  —>« Battez-vous ! »

 

Vendredi 14 Septembre 2012 :

 

Éditorial

« Battez-vous ! »

Par Claude Cabanes

Le désordre qui naît au coeur même de la mécanique capitaliste provoque les grands traumatismes, que les lecteurs de notre journal connaissent bien. Mais cette crise de l'horlogerie du système retentit aussi dans tous les aspects de la vie, même la plus ordinaire, et parfois la plus inattendue. Ainsi, au fil des jours, le clapotis de l'actualité multiplie ces « petits faits », souvent dans la confusion et le désarroi, qui naissent à la source de la crise.

On a pu lire, récemment, par exemple dans un journal quotidien, un appel péremptoire à la jeunesse française : « Barrez-vous ! » Si c'était une invitation à parcourir le monde, les nouvelles générations n'ont pas attendu les auteurs de ce texte pour prendre la route. Et elles manifestent en effet une belle ardeur à filer aux quatre coins de la planète. Autrefois, les continents, au mieux, s'ignoraient, au pire, se combattaient : ils apprennent aujourd'hui à se connaître. Mais ce n'est pas cet esprit internationaliste, qui nous est cher, qui anime l'appel à se « barrer ». La chose semble en effet hanter l'homme le plus riche de France et d'Europe : Bernard Arnault. Il n'est pas le seul dans ce petit monde huppé-là : le cofondateur de Facebook, Éduardo Saverin, à la veille de devenir multimilliardaire par l'introduction en Bourse, a renoncé à la nationalité américaine pour échapper à l'impôt « made in USA » et s'est installé à Singapour. C'est décidément un réflexe pavlovien du côté de la richesse extrême. Il y en a d'autres aussi qui sont tentés par le grand départ. Sur une embarcation de fortune. Ils fuient la famine. Parfois au large de île italienne ou d'un rivage africain, ils en meurent. Noyés. Alors, jeunesses, « Battez-vous » !

Et puis, on dit que l'Espagne est toute retournée par la confidence d'un des plus grands joueurs de football du monde, Ronaldo, qui opère dans un des plus grands clubs du monde, le Real Madrid. Il a avoué à la télévision ne être heureux. Le peuple espagnol, soumis au garrot de la paupérisation absolue par les dignitaires de Bruxelles, comprend mal ce chagrin d'un homme rémunéré comme Crésus. Encore, et décidément sans fin, la problématique de l'argent, le seul marqueur dominant et écrasant de notre société : en fin de compte, un footballeur est une marchandise pour des marchands sur un marché, non ? Et voilà, par-dessus le marché, c'est le cas de le dire, que Barcelone est animée par une gigantesque manifestation au nom de la Catalogne et de l'Europe... Karl Marx a expliqué, il y a longtemps, que le nationalisme est comme une superstition apaisante dans les états de crise...

Et ceci, encore. La contraception régresse parmi les jeunes femmes défavorisées parce que les pilules sont trop chères. Misère de misère... ! Et fallait-il donc ajouter au désastre industriel et humain de PSA à Aulnay-sous-Bois et autres drames qui menacent dans les entreprises, ces petites défaites culturelles symboliques, le renoncement au Centre national de la musique, au musée de la Photo, à une extension de l'Opéra-Bastille pour la Comédie-Française... Cela n'a aucun rapport ? Peut-être... Mais la même racine, le système est sa guerre.

On n'en finirait pas de ce catalogue au fil des temps que nous vivons. Il faut sans doute aussi y ajouter sans attendre le sombre granit glacé d'une pensée funeste : un écrivain et éditeur français, Richard Millet, a exalté le geste pour sa qualité littéraire d'Anders Breivik, le tueur de Norvège, bras armé du fascisme moderne... La crise marque au fer rouge le cycle contre-révolutionnaire que l'histoire traverse depuis près de quarante ans.

(l'Humanité)

  haut de page