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Jeudi 13 Septembre 2012 :
Éditorial Le jasmin est fané mais il refleurira Par Jean-Paul Piérot Le plus beau des printemps peut parfois déboucher sur un été pourri, mais d'autres printemps viendront, annonciateurs, peut-être, de jours meilleurs. En Tunisie même et ailleurs, parmi les amis des démocrates tunisiens, il serait faux de juger injustifié le climat d'inquiétude qui entoure ce pays depuis que le parti Ennahdha, islamiste prétendument « modéré », est arrivé au pouvoir à l'issue des élections de l'automne 2011. Des attaques ciblant une chaîne de télévision qui avait programmé Persepolis, de Marjane Satrapi, aux opérations violemment antisémites perpétrées par l'obscurantisme salafiste, jusqu'aux thèses imbéciles soutenant que la femme ne serait « complémentaire » à l'homme et non point son égale, le jasmin de la révolution de janvier 2011, qui mit fin à la dictature du clan Ben Ali, semble tristement fané. Et pourtant le soulèvement populaire parti de Sidi Bouzid après le suicide d'un jeune chômeur, en décembre 2010, avait été accueilli avec un enthousiasme débordant les frontières tunisiennes par toute la jeunesse de la rive méridionale de la Méditerranée jusqu'au golfe Arabo-Persique. Sans doute le président Moncef Marzouki, qui fut un opposant résolu à la dictature déchue et un combattant des droits de l'homme quand la Tunisie n'était qu'un immense commissariat de police, a-t-il quelques raisons de relativiser dans une interview au Figaro la situation qui prévaut aujourd'hui, toute dangereuse qu'elle soit, en comparaison avec le passé benaliste. Pour autant, les informations qui parviennent à intervalles réguliers de Tunisie sont loin de relever d'un « fantasme français » ; celles-ci tourmentent avant tout les démocrates, les syndicalistes, les femmes, la gauche, bref tous ceux et toutes celles qui, à l'instar de l'avocate Radhia Nashraoui, partagèrent le combat et les espoirs de Marzouki pendant un quart de siècle de tyrannie. Ce qui est vrai, c'est que le Figaro, et il ne fut pas le seul dans le monde médiatico-politique de l'Hexagone, a longtemps fermé les yeux sur les crimes d'un régime liberticide qui faisait l'objet des compliments les plus élogieux et les plus convergents de l'ancien président Nicolas Sarkozy et de l'ex-directeur du FMI Dominique Strauss-Kahn. Un régime honni auquel la ministre des Affaires étrangères de l'époque, Michèle Alliot-Marie, voulait livrer des moyens de répression alors que les Tunisiens envahissaient l'avenue Bourghiba à Tunis, opposant la force du nombre à la violence de la dictature. Pour sa part, l'Humanité, qui fut souvent bien seule à dénoncer la dictature benaliste, à relayer les informations transmises clandestinement par les démocrates tunisiens, dont Moncef Marzouki lui-même, poursuit le même combat pour la liberté, en solidarité avec les défenseurs d'une presse indépendante des pouvoirs politiques et religieux. Faudrait-il désespérer de la capacité des démocrates à extirper leur pays de la fausse alternative : la dictature des flics ou celle des « barbus » ? En écrasant l'opposition démocratique, en muselant le mouvement syndical, les despotes en Tunisie comme dans les autres pays de la région, en Égypte et en Syrie notamment, ont créé les conditions d'un duel qu'ils espéraient facilement remporter, avec les islamistes, fortement épaulés par les monarchies du Golfe. Cette configuration retarde le processus démocratique enclenché par le printemps des peuples qu'a annoncé la révolution de jasmin. Retardé mais non anéanti. (l'Humanité)
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