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Mercredi 29 Août 2012 :
Éditorial Un bien commun Par Paule Masson Ironie de l'histoire, c'est d'un débat sur la dette qu'est né le principe de gratuité scolaire. Pas la dette publique qu'il faudrait à tout prix baisser aujourd'hui en réduisant le périmètre des services publics parce qu'ils coûtent trop cher. Pendant la Révolution française, en 1793, quand les Talleyrand, Danton, Condorcet ou Robespierre formalisent la première gratuité totale de l'enseignement primaire, ils parlent alors de dette sociale de la nation vis-à-vis de tous. Pour obtenir les moyens de pourvoir à cette dette, ils conceptualisent une mutualisation des moyens. « Le pauvre met très peu, le riche met beaucoup, mais lorsque le dépôt est formé, il se partage ensuite également entre tous ; chacun en retire le même avantage, l'éducation de ses enfants », explique Robespierre. L'instruction est alors pensée comme un investissement de la société tout entière. Elle est un bien commun, un bien public, qui va amener, avec Jules ferry, à faire sien le concept de Condorcet : c'est sur l'instruction publique que se joue l'avenir de la République. Il est depuis admis que l'école est gratuite. Aujourd'hui encore, alors que la réalité de la gratuité est en recul, personne n'ose contester cette idée de front. Même la droite attaque de biais quand elle ouvre les portes du marché de l'éducation. Elle privatise sans le dire, à force de supprimer des moyens (60 000 postes en moins pendant le quinquennat Sarkozy), de faire disparaître des services comme l'aide aux élèves en difficulté ou l'accueil en maternelle dès deux ans, etc. On peut supprimer les moyens, les besoins restent. Dans un monde où progressent les inégalités, ils augmentent même. De fait, ce qui n'est plus assumé par la collectivité l'est par d'autres, et les familles en portent une charge de plus en plus lourde. Cahiers, classeurs, stylos... en cette veille de rentrée scolaire, nul n'échappe au rituel d'achat des fournitures scolaires. Année après année, la facture s'alourdit et met à mal le principe de gratuité. Dans le cumul des coûts, il faut compter les dépenses incompressibles qui alourdissent la note, les transports, l'assurance, la restauration, les sorties et tout ce qui est plus où moins pris en compte par les collectivités locales (régions, départements, villes) selon l'état de leurs finances et leur couleur politique. L'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire soulage le porte-monnaie mais n'enraye pas cette tendance de fond. Lancée début juillet par le nouveau ministre de l'Éducation nationale, la concertation pour la refondation de l'école posera-t-elle la question d'une « vraie gratuité scolaire », comme le réclame par exemple la FCPE ? Hier, Vincent Peillon a en tout cas placé sa rentrée sous le signe de la promotion des valeurs, celles du « désintéressement » et de la « justice », opposées à celles de « l'argent, la sélection, la concurrence ». Dans un monde qui se complexifie, l'éducation reste un levier essentiel pour construire une société solidaire et réduire les inégalités. Or un peu partout le privé gagne des parts du marché éducation. En France, Acadomia. Complétude, Cours Legendre, ces entreprises florissantes poussent partout où l'éducation nationale fait défaut : aide scolaire, stage de prérentrée, préparation aux concours... Ailleurs, comme au Québec ou au Chili, les augmentations de frais de scolarité et la mainmise du privé sur le secteur sont tellement violentes qu'elles ont déclenché des mouvements sociaux d'envergure. Les jeunes ont placé la question de la gratuité scolaire au cœur de la confrontation. Comme une idée qui pousse... (l'Humanité)
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