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Samedi 25 Août 2012 :
Au boulot De la dissimulation d'un accident de chantier Par Gérard Filoche inspecteur du travail. Le standard de l'inspection du travail est alerté : une chute dans un chantier, rue de la Michodière, un ouvrier est tombé du 3e étage sur la verrière du 2e étage. Ses collègues inquiets : « Ils l'ont emmené, on ne sait pas ce qu'il est devenu. » On y va. Courte enquête car personne ne sait rien. Un accident ? Non, il n'y en a pas eu. L'inspecteur constate juste que la verrière existe bien et qu'elle a été lavée à grande eau, on y voit les traces de serpillière. Les conducteurs de travaux disent n'être au courant de rien. Par acquit de conscience, on revient le lendemain au CISSCT (la réunion de tout le chantier consacrée à la sécurité). Il y a 30 entreprises, 30 responsables sous-traitants, nul n'est au courant de rien. J'évoque carrément le film des frères Dardenne « la Promesse », où le patron achève à coups de pelle le salarié africain blessé et le coule dans le béton. On me regarde, indignés d'une pareille allusion. J'interroge encore les salariés, gênés, chacun m'évite. Aucun résultat. Pourtant je le sais, nombre d'employeurs du BTP préfèrent ne pas déclarer les accidents du travail pour ne pas payer de majoration de cotisations. Cinq jours s'écoulent. Un nouvel appel au standard signale un accident, une chute, rue de la Michodière, un ouvrier est tombé du 3e au 2e étage sur une verrière. Je crois avoir une hallucination. Mais cette fois, c'est vrai, car police et pompiers ont été appelés et sont intervenus. Je vérifie auprès du commissariat et la caserne. Oui, oui, il est à l'hosto. On me dit que ce ne serait pas trop grave. J'appelle le service, et le médecin lui-même m'explique : « Il a eu un choc, ces curieux, ça semble ancien, mais il est sérieusement traumatisé et souffre d'une amnésie temporaire. » Vous devinez la suite ? Oui ? Non ? Lorsque je vérifierai le contrat de travail, et le registre du personnel, il aura été embauché et déclaré juste la veille. En fait, il avait bel et bien été blessé cinq jours plus tôt. Le choc n'étant pas trop grave en apparence, l'employeur l'avait fait raccompagner chez lui en douce. Mais la perte de mémoire se prolongeant et le doute s'installant quant à sa guérison chez le médecin de la ville, sa femme, ses proches avaient rappelé le patron, lequel avait pris la décision de l'intégrer dans le circuit. Il l'avait déclaré, inscrit sur les registres, ramené sur le chantier, sur la verrière, appelé les services de sécurité, police, pompiers, inspection. Et le malheureux manoeuvre immigré, à régularisé, était là où il aurait dû être, cinq jours plus tôt. (l'Humanité Dimanche)
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