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Mardi 21 Août 2012 :

 

Éditorial

Régression

Par Maurice Ulrich

Les incroyables images de la fusillade – de la tuerie – de vendredi dernier en Afrique du Sud nous ont laissés muets et stupéfaits. Des mineurs revendiquant de meilleurs salaires tirés, oui, tirés comme des lapins, des policiers nonchalants comme dans un tir forain devant l'empilement des cadavres... Tout semblait nous ramener cinquante ans en arrière, comme des images d'archives. Sharpeville, 1960. Des policiers blancs qui tirent sur une foule noire. Comment est-ce possible, aujourd'hui, au pays de la fin de l'apartheid, au pays de Nelson Mandela, au pays aujourd'hui présidé par Jacob Zuma, ancien compagnon de Mandela au bagne de Robben Island ?

Comment ne pas entendre le désarroi de Nadine Gordimer, prix Nobel de littérature, compagne de route de l'ANC, effondrée : « Si vous m'aviez demandé quand nous avons célébré notre victoire dans la lutte contre l'apartheid (…), nous n'aurions jamais pu croire que cela arriverait un jour. » Le président Zuma a demandé l'ouverture d'une enquête. Mais qu'en est-il des policiers responsables du massacre ? À qui ont-ils obéi, facilement semble-t-il ? Qu'en est-il de la direction de la compagnie britannique Lonmin, exploitante de la mine de platine qui, hier encore, menaçait de licenciement les mineurs en grève ? Après les meurtres, le chômage. L'Afrique du Sud n'en a pas fini avec ses démons. Ils se nomment racisme, misère et surexploitation.

Il a fallu que ce même week-end, quand nous n'étions préoccupés semblait-il, devant nos télés, que la vague de chaleur annoncée, des juillettistes classés rouge dans le sens des départs et des aoûtiens orange, que tombe l'incroyable verdict frappant les trois jeunes chanteuses punk des Pussy Riot. Deux ans de camp pour une chanson dans une église contre Poutine. Double sacrilège. L'église orthodoxe qui ne connaît pas la clémence et le président russe qui ne connaît pas la démocratie. Deux ans de camp, pour ce qui ici, quand bien même la France n'est pas exemplaire, vaudrait à peine une amende et une protestation de l'Église ! Une sanction « disproportionnée », c'est la réaction officielle de la France. C'était quoi la bonne proportion ? Un an de camp, six mois ?... Au Maroc, le jeune rappeur Mouad Belghouat est en prison depuis un an.

Hier encore, on apprenait qu'en Tunisie un troisième spectacle en moins d'une semaine avait été empêché à Bizerte par des militants salafistes armés de bâtons et de sabres, qu'en Israël des intégristes juifs entendaient interdire aux femmes de chanter et que, tandis que le pouvoir tunisien veut faire des femmes une « complémentaire » de l'homme, ces mêmes intégristes juifs veulent, entre autres traitements, les reléguer au fond des bus dans les transports en commun...

Où sont passées les voix de la justice, de la raison et de la tolérance ? Et faut-il ajouter à ce tableau d'un seul week-end et à la poursuite de la guerre en Syrie les préparatifs bel et bien confirmés d'une guerre d'Israël contre l'Iran. Alors, dans ce monde, la France est-elle impuissante ou a-t-elle un rôle à jouer ? La droite entend se poser en donneuse de leçons. Elle est malvenue après la Libye, l'Afghanistan, les tentatives, à l'intérieur de division des Français au nom de la religion. Mais la France des Lumières, des droits de l'homme, de la laïcité, est toujours écoutée dans le monde. Elle doit parler fort et clair et délivrer bien plus que des images de bonne élève des marchés financiers. C'est cela une France de gauche.

(l'Humanité)

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