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Jeudi 16 Août 2012 :
Les patrons flingueurs 2/4 Édouard Carmignac Le petit timonier des riches entre en résistance Spéculateur sur les marchés émergents et les matières premières, il a fait fortune en créant quelques dizaines d'emplois en France. Cela ne l'empêche pas d'avoir des idées sur le remède de cheval qu'il faudrait pour nous sauver. Édouard Carmignac a commencé le polo en 1981. « Comme un acte de résistance active », fanfaronne-t-il. Chaque été, l'homme monte au maquis, avec un pincement au coeur, cette année plus encore que les précédentes, sans doute. Au domaine d'Héroussad, à Dozulé (Calvados), le châtelain retrouve son armée secrète de joueurs argentins, un troupeau de montures de premier choix, un véritable terrain en gazon et un practice en synthétique. Bien moins doué, avec son maillet en bambou sur sa jument, que ses jeunes coéquipiers professionnels – au polo, chaque joueur se voit attribuer une note selon son niveau entre moins 2 et 10 -, l'amateur, handicap zéro né en 1947, ne touche peut-être pas souvent la balle, mais il n'en reste pas moins capitaine puisque c'est lui qui paye. Tout comme ses amis et concurrents, Laurent Dassault, un des rejetons de Serge, ou Bahar Jefri, neveu du sultan de Brunei, qui, eux aussi, louent les services des meilleurs mondiaux pour briller dans les compétitions. À la Coupe d'or de Deauville qui s'est achevée dimanche, Talandracas, l'équipe d'Édouard Carmignac, a fini dernière. Quand il ne cultive pas le délicat entre-soi du tout petit monde du polo, le capitaine réussit sa vie place Vendôme. Issu d'une famille de la bonne bourgeoisie, « Doudou », comme disent ses proches, a été agent de change dans les années 1980, et le voilà, aujourd'hui, à la tête d'un fleuron de la place financière de Paris, Carmignac Gestion, qui, avec 180 employés et 50 milliards d'euros d'encours, spécule sur les marchés émergents, les matières premières, l'énergie, l'or, Wall Street ou les géants du luxe, tout en évitant soigneusement d'investir dans les entreprises du Vieux Continent ou de détenir des obligations d'États européens. Ses portefeuilles sont « éthique », « socialement responsables » et tout le toutim car, ils le clament, ses gestionnaires n'ont jamais investi dans l'industrie du tabac ou l'armement. Dans la spirale des crises enchâssées (crise des subprimes, crise financière, crise économique, crise des dettes publiques, crise de la zone euro, etc.), Édouard Carmignac fait son beurre. Du coup, l'argent confié par les Crésus de toute l'Europe afflue depuis 2008, et les profits dégagés ont été multipliés par dix. Comme le magot, d'ailleurs, du patron actionnaire quasi exclusif de l'entreprise qui a versé 120 millions d'euros de dividendes sur les deux dernières années : 43e au classement des fortunes de France en 2012, Édouard Carmignac a vu son patrimoine passer, en quelques années, de 100 millions d'euros à 1,1 milliard d'euros. Tout va mieux que bien pour lui. Les gazettes économiques tombent en pâmoison devant les succès de cet « iconoclaste ». Ça baigne, sauf qu'il aimerait bien qu'on l'écoute un peu plus. « L'essentiel de la presse est à gauche, et parmi les élites, personne n'ose s'élever contre la pensée unique », pleurnichait-il dans le Point, le mois dernier, pour briser les tabous, Édouard Carmignac fait publier, sous forme de pub, les courriers qu'il se pique d'envoyer à ses clients et aux dirigeants politiques. Tour à tour, il y fustige « la bienveillance des marchés envers nos gouvernements », l'instauration des 35 heures et la prime électorale « pour le moins surréaliste » qu'en tireraient les socialistes, « l'exacerbation des tensions envers les entrepreneurs ». Alors qu'il constitue lui-même un assez fâcheux contre-exemple, il défend la richesse des patrons qui « n'a pas été volée, mais créée, et abondamment répartie auprès de la collectivité sous forme de nouveaux emplois, de prélèvements fiscaux et sociaux en tous genres ». Dans une lettre adressée formellement à François Hollande, le 4 juillet, et publiée sur une page entière dans le Monde, Édouard Carmignac conteste la perspective de la « mise en place d'une fiscalité confiscatoire » qui « décapiterait les états-majors de nos entreprises, accélérant l'exode de nos dirigeants ». Il déplore surtout la volonté de « tondre » - il utilise le mot à plusieurs reprises - « l'ensemble du pays » et « nos amis allemands » afin « d'assurer la survie d'un modèle social obsolète ». Le calculateur à une solution qu'il commercialise : finissons-en avec le Livret A - « un placement à la rentabilité médiocre », crache-t-il – et avec la retraite par répartition, vive la capitalisation ! Pendant le conflit sur la contre-réforme des retraites, il diffuse d'ailleurs sur les ondes son grand fantasme. Dans le spot, la foule en manif hurle : « La retraite sans un rond, non, non, non ! » Elle se ravise vite quand une dame susurre par-dessus : « Il y a mieux pour sauver votre retraite. » Avant de suggérer de tout placer chez notre ami du peuple, et le mouvement social scande enfin à l'unisson : « Car-mi-gnac Ges-tion, oui, oui, oui ». En art comme à la bourse, sur tous les marchés quels qu'ils soient, Édouard Carmignac n'est pas peu fier de son flair, c'est le roi des retournements de tendances. Sous les dorures de ses bureaux, Lénine et Mao, portraiturés en icônes pop art Warhol, toisent les visiteurs. « Ce sont deux chefs de bande, deux terroristes qui ont magnifiquement réussi et bouleversé le monde à partir de rien, ricanait Édouard Carmignac dans le Nouvel Économiste l'année dernière. Je n'ai pas de sympathie pour leur idéologie ou leur personne, mais ce sont mes Most Wanted, des têtes mises à prix comme dans le bureau du shérif. » Quand il se considère ou qu'il se compare, jamais le mégalo ne se désole, toujours il se console. Cela vaut aussi pour le polo car, à Deauville, il y a encore de l'espoir : Carmignac, à cheval sur son dada, et ses boys argentins continuent la résistance, la Coupe d'argent commence ce mardi... Et s'il la remporte celle-là, le capitaine au handicap zéro saura, n'en doutons pas, se montrer généreux avec ses partenaires et même avec ses palefreniers, déversant dans le trophée des litres d'un prestigieux champagne à partager, tous ensemble, ouais... Thomas Lemahieu (l'Humanité)
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