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Dimanche 5 Août 2012 :

 

Chronique

Quelle stratégie ?

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

La déferlante des plans sociaux dans le secteur industriel suscite une émotion légitime. Cette vague de restructurations justifierait aussi un débat sur ses causes. Pourtant les dirigeants patronaux, les élus de droite et une majorité d'économistes s'en tiennent à une seule explication. Comme les médecins caricaturés par Molière, ils martèlent : « coût du travail, coût du travail... ». La masse salariale étranglerait les marges et « plongerait la France dans un cercle vicieux mortifère », écrit le très patronal institut Rexecode. Selon son directeur, il y aurait « consensus sur ce diagnostic ».

Que non ! Et c'est tant mieux ! Bien sûr, personne ne nie la stagnation de la production manufacturière, la perte de parts de marché, l'accroissement du déficit des comptes extérieurs de la France. Le pays a perdu 7 à 8 points de croissance, 150 milliards à 160 milliards de richesses produites et plus de 1,5 million d'emplois. N'en déplaise aux donneurs de leçons, les salariés de l'industrie qui voient disparaître leur travail sont aux premières loges pour mesurer le problème. Mais l'on ne fait pas forcément la même analyse de la question des coûts. Prenons l'exemple de PSA. La perte de compétitivité du groupe automobile s'explique par l'évolution de trois catégories de coûts. Par le prix des consommations intermédiaires d'abord. En 10 ans, le prix des matières premières et de l'énergie a progressé trois fois plus vite que la masse salariale. Par le coût du crédit ensuite. Si les taux d'intérêt ont baissé en valeur nominale, ils ont renchéri en terme réel. D'où une stratégie du groupe qui a brûlé 1,1 milliard d'euros de disponibilités en 18 mois pour se désendetter. Enfin, en raison des prélèvements des actionnaires. Les dividendes versés ont certes diminué ces trois dernières années. Mais cela faisait suite à une période où la pression actionnariale a été très forte. Ainsi PSA, si l'on retient le chiffrage de Natixis, a dégagé, de 2003 à 2008, une rentabilité financière moyenne de plus de 15 %.

Croire dès lors qu'il suffirait de baisser les cotisations sociales en les remplaçant par plusieurs points de TVA ou de CSG pour redresser l'industrie française est un dangereux mirage. L'effet immédiat serait de réduire la consommation des ménages. Qui achètera demain des véhicules, fussent-ils électriques et assortis d'un généreux bonus écologique ? L'effet à moyen terme serait de dévaloriser un peu plus le travail et la qualification alors que la France et les productions de la filière automobile subissent une détérioration de leur compétitivité hors coût. C'est le problème majeur face à l'Allemagne qui a su développer une stratégie industrielle la rendant maîtresse de ses prix. Des marges confortables lui ont permis d'innover et de promouvoir une filière performante sans avoir besoin d'écraser les salaires. Au contraire !

Le nouveau plan automobile français semble vouloir calquer l'approche d'outre-Rhin. Il mise sur le créneau du véhicule électrique et sur une stratégie de développement. Est-ce la seule perspective ? On peut en douter. En tout cas, rien n'est dit sur deux questions majeures. D'abord celle de l'emploi, totalement absente du projet. Ce qui a justifié les applaudissements de l'éditorialiste des « Échos » qui se félicitait que le gouvernement « entérine la fermeture du site d'Aulnay ». Ensuite celle de la gestion de ces grands groupes. Comment peut-on penser que les actionnaires géreront demain différemment de ce qu'ils ont fait jusqu'à présent ? Rien n'est avancé sur les droits nouveaux des travailleurs, leur représentation au sein des instances dirigeantes de l'entreprise et de la filière. Rien n'est dit non plus sur les outils nouveaux dont la puissance publique doit se doter pour faire prévaloir l'intérêt collectif.

La bataille continue.

(1)Économiste et syndicaliste.

(L'Humanité Dimanche)

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