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Vendredi 3 Août 2012 :
Éditorial La terre et l'eau Par Maurice Ulrich Si l'on doit à Pierre de Coubertin l'olympisme moderne, les athlètes féminines et les femmes en général ne sont pas tenues de lui dire merci : « Les jeux Olympiques, déclarait-il en 1912 à Stockholm, doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes devrait être avant tout de couronner les vainqueurs. » Bien, nous n'en sommes plus là et les larmes de Laura Flessel après des années de gloire, les sourires heureux de Camille Muffat, d'Automne Pavia en judo pour ne citer que nos compatriotes ont, depuis le début des jeux, éclairé nos soirées. Nous n'en sommes plus là, encore que, dans le sport en général... Les fins d'étape du Tour de France et la remise des bouquets avec bise aux vainqueurs ressemblent toujours furieusement à la vision de Pierre de Coubertin. Nous n'en sommes plus là, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres pour parvenir à l'égalité hommes-femmes en matière sportive. Dans un ouvrage que l'on se doit de citer, le Sport, dernier bastion du sexisme, avec une préface de Marie-George Buffet, l'essayiste Fabienne Boucaret montre à quel point le traitement réservé aux femmes et aux hommes diffère en matière de financement des athlètes et des équipes, le traitement médiatique, exemples précis à l'appui. C'est telle championne de boxe qui doit payer elle-même ses déplacements et son hôtel... C'est le statut d'amateurs(trices) de la plupart des joueuses de football de l'équipe de France, dont les primes ne leur permettent même pas de couvrir leurs frais. Une situation qui interpelle d'autant plus que l'on connaît les salaires insensés des joueurs masculins. Mais il y a plus encore, quand les conditions de la pratique sportive féminine viennent renforcer les stéréotypes. Ainsi, avec la volonté de promouvoir cette même équipe féminine dont les résultats ont fini par forcer le respect, la FFF avait eu un moment l'idée de faire poser des footballeuses nues et l'on sait que le physique des joueuses de tennis, par exemple, n'est pas tout à fait sans lien avec leur présence sur nos écrans. Le sport, aujourd'hui, c'est de l'Audimat, l'Audimat, c'est de l'argent et des sommes colossales sont en jeu. On remarquera, à juste titre, que les jeux Olympiques qui voient cette année, et c'est un événement considérable, des femmes dans toutes les délégations, témoignent d'une avancée. On remarquera encore que la visibilité des athlètes féminines dans les diverses compétitions les met dans les starting-blocks qui peuvent permettre de nouvelles avancées, et c'est indiscutable. Mais en dehors même de la planète sport actuellement à Londres, il y a les réalités du sport de masse pour les femmes en France, certes, et dans le monde. Dans les pays développés eux-mêmes, quelle pratique sportive des précaires, des femmes seules, et de celles au plus bas des salaires ? Pour telle athlète d'un pays pauvre qui va briller un moment parmi les étoiles, combien de prisonnières de ce que Rimbaud appelait « l'infini servage de la femme » ? On ne peut, à ce point, ne pas évoquer la question du sport du hijab, comme le fait plus loin Christophe Deroubaix, l'un de nos envoyés spéciaux à Londres. Faudrait-il interdire à ces jeunes femmes ce qui est l'une des chances de leur vie ? Non seulement une chance de gagner mais celle d'être là, aussi pour celles qui n'y sont pas, devant le monde avec les femmes de tous les pays. Elles les veulent, ces Jeux, comme la terre veut de l'eau. (l'Humanité)
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