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Mardi 31 Juillet 2012 :

 

Éditorial

Indignados siempre

Par Jean-Paul Piérot

Un pays économiquement développé et en temps de paix, dans lequel plus de la moitié de la jeunesse est dans l'impossibilité de trouver un emploi, tourne le dos à l'avenir. Ce bilan effrayant taraude des millions d'Espagnols, de l'Andalousie à la Catalogne, qui voient jour après jour les postes de travail fondre aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. 53 000 postes ont été éliminés en l'espace de trois mois : la dévastation rappelle celle d'une guerre qui paralyserait toute activité économique.

« Nous ne pouvons plus tomber plus bas », soupirait il y a quelques jours une jeune Madrilène devant le micro que lui tendait à un journaliste. Rien n'est moins sûr, au contraire : de plan d'austérité en plan d'austérité, l'Espagne s'essouffle, s'anémie, et les docteurs Diafoirus du libéralisme européen préconisent la diète pour combattre la faim. Encore plus de « recortes », ces coupes budgétaires dont on a mesuré les effets dramatiques lors des incendies pyrénéens de ce début d'été, encore plus de TVA (+ 3 points, à 21 %) qui va fermer encore davantage l'accès à une consommation qui se réduit comme peau de chagrin. La récession s'aggrave, reconnaît le FMI dans son rapport annuel sur l'Espagne, mais l'institution financière livre un satisfecit au chef de l'exécutif, le conservateur Rajoy, qui a emboîté le pas de Zapatero en chaussant des bottes de sept lieues.

La politique qui consiste à faire de son pays un terrain d'atterrissage séduisant pour capitaux en chasse de profits au lieu d'organiser la production autour de la demande sociale, a conduit l'Espagne au bord du gouffre. Le pays doit désormais emprunter sur les marchés mondiaux à des taux usuraires de plus de 7 %. La spirale infernale est en marche. Madrid, ainsi mis dans l'impossibilité de faire face à ses besoins de financement, est tenté de solliciter un plan d'aide européen de 300 milliards d'euros.

La colère qui souleva l'an passé la place de la Puerta del Sol, et rappela à l'Europe entière combien les Espagnols avaient de raisons d'être Indignados, n'est nullement retombée en cet été meurtrier où tous les signaux sont au rouge vif. Dans la fonction publique, ces derniers jours, comme dans les autres secteurs du monde du travail, rassemblements et défilés se succèdent. L'accablement devant la dureté des coups portés au nom de l'orthodoxie de la gouvernance financière au sein de la zone euro n'a pas pris le pas sur le « basta ya ! » des peuples espagnols. Le « nein » d'Angela Merkel et de Wolfgang Shäuble à tout changement dans l'aide financière aux États européens commence à troubler les esprits en Allemagne même, où nombre de commentateurs s'inquiètent des conséquences économiques d'une fracture européenne.

Au moment où la troïka (Commission européenne, BCE, FMI) exige de nouvelles saignées en Grèce au prix d'une extension de la misère, et que l'Espagne est à la peine, l'échec des dirigeants de l'UE prend une tournure aussi éclatante que dramatique. Des dizaines de sommets de la dernière chance se sont enchaînés ces derniers mois, pour quel résultat ? Il n'en est que plus décisif, pour les salariés européens, de converger dans la solidarité en vue de sortir de l'impasse. Les intérêts du monde du travail se conjuguent des deux côtés des Pyrénées contre la constitutionnalisation de l'austérité et pour affranchir des marchés le financement des besoins des États en créant une banque publique européenne. Indignados siempre !

(l'Humanité)

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