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Vendredi 27 Juillet 2012 :

 

Éditorial

Esprit, es-tu là ?

Par Jean Emmanuel Ducoin

« Le sport va chercher la peur pour la dominer, la fatigue pour en triompher, la difficulté pour la vaincre. » Faut-il donc en appeler à Pierre de Coubertin pour se demander si la glorification de la geste sportive consiste uniquement à la soumettre à la nécessité épique des épreuves, à leur indéfectible incertitude, aux exploits insoupçonnés et aux détresses intimes ? À chaque déification sportive, démesurément mise en scène par l'hyper-bulle économico-médiatique, nos interrogations resurgissent. Plus grands ? Plus chers ? Moins humains ? En somme : esprit olympique, es-tu encore là ?

À l'heure où va scintiller la flamme des jeux Olympiques de Londres, brûlant tous les feux cathodiques en mondovision, nous aurions toutes les raisons de nous détourner de ce spectacle outrageant de puissance communicative, penser qu'il n'est plus qu'un théâtre désenchanté par l'appât du gain immédiat, l'antre piétiné d'une humanité ayant perdu le sens de son symbole suprême, jadis nommé « monde amateur », renvoyé depuis aux calendes grecques, squatté par des héros qui, pour beaucoup, ne méritent plus notre mythification... Au stade suprême de l'hyper-spectacularisation des compétitions, le sport a cessé d'être ce terrain d'expérimentation du néolibéralisme qu'il était encore dans les années quatre-vingt, pour se transformer en une puissance capitaliste à part entière ! Témoins directs d'une époque de métamorphose des corps et de fabrication d'hommes-machines à performer, soumis au biopouvoir et la technoscience, nous avons vu le sport se marchandiser à outrance. Là aussi les actionnaires ont peu à peu remplacé les techniciens aux survêts à pattes d'éléphant. Le bien-être physique et collectif des individus s'est progressivement effacé derrière la musculation des investissements financiers.

Les jeux Olympiques ne sont-ils pas devenus qu'artefacts et purs spectacles d'un rêve éventé ? En pleine crise mondiale, les JO coûteront à la Grande-Bretagne la bagatelle de 30 milliards d'euros en tout, très au-delà du budget prévisionnel, mais surtout vingt à trente fois plus que ceux de Barcelone en 1992... L'universalité des Jeux devrait ne pas avoir de prix : elle a un coût. De sorte qu'il nous faut probablement appréhender le sport – même surélevé de son « esprit olympique » - pour ce qu'il est désormais. Une fable à morale ambiguë où la naïveté n'a plus sa place, mais aussi l'expression d'une vaste utopie dévoyée qui nous renseigne sur l'état de nos sociétés. Un peu comme si l'exigence de crédibilité du sport n'était qu'une condition subjective de la confiance commerciale qui repose sur ses épaules ; comme si, des chaînes des usines à la généralisation de la compétitivité, les hommes étaient soumis à un esclavage unique : l'accroissement indéfini de leur productivité. Et plus la productivité est compétitive, plus elle se consomme !

Le sport reste un monde en réduction qui crée des personnages à sa démesure. Et nous, que voulez-vous, hantés par une passion singulière, nous aimons ces hommes et ces femmes, surtout quand ils osent revendiquer une philosophie alternative de leurs pratiques comme l'un des moteurs émancipateurs de l'humanité... Le sport avait-il besoin de la globalisation d'abord, de la marchandisation folle ensuite, pour sombrer dans le produit du modèle anglo-saxon ? Ce système artificiel, absurde et inégalitaire, a pour principe la financiarisation de toutes les activités humaines. Le légitime intérêt du public pour les performances de « nos héros » aux Jeux suppose un affrontement loyal. Les capitaux et la loi des sponsors devraient être exclus de cette histoire universelle !

(l'Humanité)

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