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Lundi 23 Juillet 2012 :

 

Chronique

La démocratie sans le peuple

Par Francis Wurtz (1)

Ils pensaient avoir tout prévu... Pour permettre l'entrée en vigueur rapide du nouveau traité de discipline budgétaire et du mécanisme européen de stabilité (MES), les principaux dirigeants de l'UE avaient adopté un dispositif censé éviter toute mauvaise surprise. D'abord, proscrire le référendum partout où c'est possible. Ensuite, prévoir une clause privant de tout droit aux prêts de secours du MES un pays qui n'aurait pas ratifié le traité de discipline budgétaire. Enfin, décider que le traité budgétaire pourrait entrer en vigueur dès que 12 États (sur les 17 de la zone euro) l'auraient ratifié. Le message ainsi adressé aux adversaires du traité et à sa logique de l'austérité à perpétuité et de négation de la souveraineté populaire était clair : les chiens aboient, la caravane passe !

Or, un grain de sable vient de gripper, le 10 juillet dernier, ce montage machiavélique. Et, qui plus est, dans l'Allemagne de madame Merkel. Hélas, il n'est pas le résultat d'une rébellion surprise de la gauche parlementaire : celle-ci (hormis Die Linke ainsi que 23 élus du SPD) a fait chorus avec la droite du Bundestag pour approuver tous les textes. C'est de la Cour constitutionnelle, gardienne soucieuse de la très sacrée de loi fondamentale, qu'est venue la contestation. Les huit juges de Karlsruhe estiment, en effet, que ces traités risquent de rogner les prérogatives du Parlement national. Ils invitent plus généralement les responsables politiques du pays à ne pas sacrifier la démocratie sur l'autel de la crise. Naturellement, sans l'Allemagne, tout ce dispositif serait nul et non avenu. Son avenir est donc suspendu à la décision finale de ces magistrats, le 12 septembre.

Cet épisode est significatif de la profondeur de la crise de la démocratie dans l'Union européenne. Il renforce encore la légitimité de l'exigence d'une (vraie) réorientation de cette construction qui passe par une implication des citoyennes et des citoyens tant dans l'élaboration des politiques que dans le contrôle des décisions prises et l'évaluation des résultats. Le traité de discipline budgétaire, en prenant le contre-pied des aspirations populaires, tant sur le plan social que démocratique, nous enfoncerait dans l'impasse. Il est donc primordial de s'y opposer. La position rappelée par François Hollande (pour la ratification du traité, nullement « renégocié » !) n'est pas digne de la gauche ! Quant à l'hypothèse selon laquelle, au cas où un nombre conséquent de parlementaires socialistes ou Verts refuseraient finalement de cautionner ce texte régressif, le PS compterait sur les voix des élus de droite pour lui permettre d'atteindre coûte que coûte la majorité requise, mesure-t-on le préjudice qui en résulterait pour l'idée même du changement qu'attend la majorité des Français !

Plus généralement, il est grand temps d'ouvrir un grand débat sur les enjeux européens où puissent être confrontées au grand jour les différentes visions de l'Europe et les options immédiates qui en résultent. Le Front de gauche est prêt à y prendre sa place. Qu'en pensent les autres forces politiques ?

(1) Député honoraire du Parlement européen.

(L'Humanité Dimanche)

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