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Dimanche 15 Juillet 2012 :

 

Le patron doit être un salarié comme un autre

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Le débat sur les rémunérations excessives des patrons des grandes entreprises est tout sauf une « spécificité française ». Dans la plupart des pays occidentaux, à l'initiative des syndicats, des petits actionnaires ou des pouvoirs publics, cette question est dans l'agenda politique. Tel est le cas en Allemagne, aux États-Unis et en Suède. Le Royaume-Uni lui-même n'échappe pas à la contestation. Le plafonnement, décidé par le gouvernement français, des rémunérations des patrons des entreprises publiques est un signal clair. Mais les effets de la mesure seront limités. Car elle ne concerne que le public. De plus, les dirigeants ont la possibilité de cumuler des avantages dans divers conseils d'administration et organismes où ils siègent. Il faut donc aller plus loin. Les excès sont connus. La rémunération des patrons du CAC 40 s'élève en moyenne à 4,11 millions d'euros par an. Louis Schweitzer, L'ancien président de Renault, avançait dans un article récent une double justification à ces rémunérations très élevés. « L'importance déterminante de l'engagement du dirigeant pour dégager les meilleurs résultats pour l'entreprise », d'abord. « La légitimité de l'enrichissement de ce dirigeant à partir du moment où il se compare au propriétaire d'une PME qui réussit », ensuite. Mettre en avant ces deux arguments montre qu'on surestime l'apport individuel d'un dirigeant, alors que la situation de l'entreprise est le résultat d'un engagement collectif de l'ensemble de ses salariés. Louis Schweitzer corrigeait bien son propos en soulignant « les effets néfastes de la coupure qui s'était ainsi installée entre le monde économique et financier et les mondes de l'université, de la recherche, de l'administration, de la médecine, de la politique ou des arts et des lettres ». Il aurait pu mentionner l'écart avec le monde salarial : ouvriers, employés et cadres des entreprises ! Cet oubli dans le raisonnement de M. Schweitzer montre bien que le cadre dirigeant a changé de galaxie. Il est du côté des actionnaires et des financiers. Il n'appartient plus au monde réel de l'entreprise.

La structure de sa rémunération le démontre. Elle se décompose en quatre éléments : le salaire fixe, qui représente moins du quart de la rémunération globale ; la variable, liée aux profits, qui double ou triple le salaire fixe ; les d'options d'acquisition ou de souscription d'actions, appelées stock-options; enfin, différentes indemnités octroyées au moment de l'arrivée ou du départ du dirigeant, comme le bénéfice d'une retraite supplémentaire dite en retraite chapeau.

Car le statut associé à la fonction dirigeante qui mérite d'être rediscuté. Quel que soit le jugement politique ou moral que l'on porte sur le niveau des rémunérations des dirigeants, il faut se demander si cette structure de rémunérations incite à une meilleure gestion de l'entreprise. Or, avec une rémunération qui est désormais indexée, pour les trois quarts, sur les résultats financiers de l'entreprise, les dirigeants sont devenus les otages des actionnaires. En contrepartie de rémunérations élevées, ils sont avant tout mandatés pour élever la valeur de l'action, fût-ce au détriment des salariés qui y travaillent et de l'avenir même de l'entreprise.

Pour limiter cette subordination, transformer la gouvernance des entreprises est absolument nécessaire. Renforcer la présence publique au capital des grandes entreprises, généraliser la présence, dans les conseils d'administration des sociétés, d'administrateurs représentant les salariés, mettre en place une fiscalité plus favorable pour les bénéfices réinvestis afin de réduire les prétentions des actionnaires sont autant de mesures urgentes.

Plus radicalement, il s'agirait de redonner à la fonction de dirigeant un statut salarial, complété par une rémunération annexe, indexée sur la bonne santé économique et sociale de l'entreprise, des critères de richesse créée, d'emplois développés, d'innovations réalisées. On pourra alors discuter de son niveau !

(1) Économiste et syndicaliste

(L'Humanité Dimanche)

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