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Jeudi 12 Juillet 2012 :

 

Éditorial

Le piège de la CSG

Par Patrick Apel-Muller

Le ton a radicalement changé. Finies les sorties aux relents pétainistes sur le vrai travail et les faux travailleurs syndiqués. Reléguées au rang des mauvais souvenirs, les diatribes contre les syndicats et les corps intermédiaires. Explicitement abandonnée, la méthode qui consistait à réunir les confédérations pour ne jamais les entendre et les mettre face aux forfaits accomplis. La grande conférence sociale a déjà ce mérite – légitimer la négociation sociale – et un fruit – un calendrier d'échanges entre les différents acteurs sociaux. Autant dire aussi que tout reste à faire, à bâtir sur des rapports de forces, à imprimer noir sur blanc dans la vie sociale grâce à l'implication de l'opinion publique.

Deux chausse-trappes sont cependant sur le chemin. Le premier piège à le charme des poudres de perlimpinpin et tend à faire passer le dialogue, le consensus et la « culture de la négociation sociale » pour les seules valeurs qui vaillent, quels que soient les résultats obtenus. Les légendes de la cogestion à l'allemande et de l'entente à la scandinave sont ainsi agitées, en dépit des rides qui les ont fanées. Qui prêche cette harmonie céleste finit toujours, comme le serpent Kaa dans le Livre de la jungle, par répéter : « Dors, je veux. » L'apaisement invoqué serait alors celui des mises en bière des revendications. Le second piège consisterait à enfermer les revendications sociales dans une enveloppe rabougrie, où chacun n'aurait que des miettes à partager ou répartir. C'est le sort que destinent à la plupart des services publics, les premières prévisions budgétaires du gouvernement. Le patronat entend bien circonscrire les débats et plus encore leurs conclusions à une application très stricte de ses diagnostics et de ses remèdes. Les difficultés qui entravent l'économie française, qui plombent les comptes publics et sociaux, et alimentent un chômage massif auraient une seule et unique origine, le coût du travail. Et qu'importent les statistiques, les véritables comparatifs entre pays... il se trouve toujours un « expert », à la façon dont Molière avait ses médecins, pour isoler un morceau de graphique, citer un organisme patronal ou lancer une bulle pour décréter que les vrais créateurs de richesse sont des parasites. Qu'importent l'envolée des dividendes, le ballet des stock-options, les retraites chapeaux et les salaires faramineux du CAC 40 ! Il faut à tout prix baisser le rideau sur une scène économique qui voit le capital croître et multiplier à proportion des efforts des salariés, les fonds financiers prélever leur dîme sur les emprunts ou sur les entreprises dont ils se sont emparés, et les rois de la spéculation mondiale pressurer des peuples entiers pour les intérêts d'une dette qu'ils ont eux-mêmes alimentée. La perte de compétitivité ne viendrait pas de ces boulets qui traînent au pied leurs salariés, mais de leurs mesquines aspirations à manger convenablement, à se soigner quand c'est nécessaire, et même à se reposer de temps à autre, et notamment à partir de 60 ans. Bel exercice d'illusion !

Ce sont, hélas, de tels raisonnements qui conduiraient à privilégier le transfert des cotisations patronales maladie et famille sur la CSG pour améliorer le financement des comptes sociaux. Alors que les entreprises – surtout les grandes – ont déjà bénéficié de 172 milliards d'exonérations de contributions sociales ou fiscales, ces dernières années, il s'agirait de leur faire d'énormes cadeaux supplémentaires, ponctionnés essentiellement sur les paies des salariés et les retraites. Une TVA sociale en quelque sorte, directement prélevée à la source. Ce dossier a ses adeptes dans les palais ministériels. Et des adversaires dans le mouvement social. À eux de se faire entendre et de convaincre la majorité.

(l'Humanité)

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