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Mercredi 11 Juillet 2012 :
Éditorial Bonne volonté Par Paule Masson La nature des relations sociales est toujours le fruit d'une histoire. Et de ce point de vue la France est singulière. Notre tempérament collectif est davantage marqué par la culture du conflit que par celle du compromis. Beaucoup s'empressent d'en faire une faute et de l'imputer aux syndicats. Mais s'en tenir à cette explication ne fait pas vérité. L'histoire sociale est aussi celle d'un patronat assis sur le ressort de la confrontation avec les syndicats, souvent prompt à en réprimer l'activité, toujours réfractaire à la négociation dès lors qu'il s'agit d'avancer sur des garanties pour les salariés. Ce qui a été gagné a presque toujours été arraché, au prix de rapports de forces sociaux ou politiques obligeant le patronat à plier, qu'il s'agisse des congés payés après la grande grève de 1936, de la spectaculaire augmentation du salaire minimum en 1968 ou encore de la retraite à 60 ans en 1981. Le droit syndical, lui aussi a dû s'imposer. Avant 1968, le syndicalisme n'avait pas droit de cité dans l'entreprise ! La question n'est pas de garder les yeux rivés sur le rétroviseur. Personne ne le souhaite. Mais en matière de démocratie sociale, il va falloir beaucoup plus que de la bonne volonté pour avancer. En ouvrant les travaux de la conférence sociale hier, le président de la République a présenté une feuille de route fondée sur un nouvel élan : « L'idée que je lance, a-t-il développé, c'est celle du compromis positif, une idée qui permettra à notre pays de sortir par le haut des épreuves qu'il traverse. » Avant lui, le premier ministre Jean-Marc Ayrault avait, devant l'Assemblée nationale, souhaité que s'impose « la culture de l'accord ». Pour consacrer ce parti pris, assez largement apprécié hier par les participants de la conférence sociale, il est question de graver le dialogue social dans le marbre de la Constitution. Attention pour autant à ce que cette intention généreuse n'amène pas à bouleverser la règle qui fait qu'en France la loi s'applique à tous de manière égale et quelle prime, dans la hiérarchie des normes, sur le contrat, c'est-à-dire, les accords négociés. Ne plus être soumis à des règles qui lui imposent un salaire minimum, une durée légale du travail ou encore encadrent les licenciements : le patronat en rêve. Ce chantier est immense car la République elle-même n'est pas exempte d'une histoire qui a construit une démocratie fondée sur la suprématie du politique. Mais la démocratie boite aujourd'hui. Elle est malade d'une dérive, largement entretenue par la droite, qui la réduit à sa plus simple expression : voter. Entre les scrutins, on est prié d'attendre le prochain. Beaucoup d'espaces sont à investir pour redonner à la citoyenneté ses lettres de noblesse. Aujourd'hui, par exemple, les salariés sont privés de parole sur tout ce que le patronat considère comme sa chasse gardée : les choix stratégiques des entreprises. Tout juste ont-ils le droit d'être consultés quand le mal est déjà fait. Dans les petites entreprises, ils sont privés de tout alors que pourraient s'inventer des formes de négociations territoriales qui leur donnent voix au chapitre. La question de la légitimité des acteurs se pose aussi. Une réforme de la représentativité des syndicats, qui impose peu a peu l'obligation de rassembler des majorités pour signer des accords, est intervenue. François Hollande s'est engagé à réformer la représentativité patronale, qui laisse de côté tout le champ de l'économie sociale et solidaire. Le Medef est aujourd'hui arbitrairement hégémonique, et tant que les groupes du CAC 40 ont la mainmise sur la négociation, la méthode Hollande fondée sur la recherche de compromis a de grandes chances de rester lettre morte. (L'Humanité)
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