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Dimanche 8 Juillet 2012 :
Chronique Toujours la même chanson, côté patronal Par Jean-Christophe Le Duigou (1) L'offensive pour une « baisse du coût salarial » a repris de plus belle. Elle est trop convergente pour ne pas être concertée. Plusieurs « grands patrons », du PDG d'AXA à celui de Saint-Gobain, y sont allés de leur couplet : « Nous plaidons pour un choc de compétitivité en allégeant le coût du travail. » Les salariés sont prévenus. Coûtent-ils pourtant trop cher ? Sont-ils les responsables de la désindustrialisation ? Évidemment non ! Les chiffres ont été maintes fois fournis. La seule donnée qui compte vraiment est celle du « coût unitaire de la main-d'œuvre dans l'industrie », l'indice qui combine coût de l'heure travaillée et productivité du travail. La valeur de cet indice est inférieure à celle enregistrée chez nos principaux concurrents européens. Elle n'a pas évolué plus vite. Ce n'est donc pas dans le coût du travail que nous pouvons trouver une explication aux pertes de marché des entreprises françaises, pertes qui sont constantes depuis 1990. La Chine n'est pas non plus le problème principal. 60% de notre recul en termes de parts de marché s'expliquent par celui des nos exportations vers les autres pays européens. 30 %, soit la moitié, s'expliquent par les pertes vers l'Allemagne, les Pays-Bas et la Belgique, soit l'ancienne zone mark. Les handicaps de compétitivité sont faciles à lister. Ils trouvent leurs sources dans les choix de gestion des entreprises : un taux plus faible de recherche développement qui ne permet pas une modernisation des processus de production et des produits; un effort de formation professionnelle qui stagne, voire régresse ; une priorité donnée à l'investissement financier. Financiers et dirigeants, à force de raisonner en termes de « chaîne de valeur », ont oublié la notion basique de « système productif ». Cet abandon se mesure. La France exporte à peu près autant de produits qu'il y a 10 ans. Mais leurs prix baissent. Nous perdons des parts de marché en valeur parce que nous « descendons en gamme ». Ce qui est produit en France et qui est vendu à l'étranger vaut moins cher que ce qui est produit par les concurrents et qui pourtant trouve preneur. La conclusion est évidente : il faut accroître la qualité, renforcer l'innovation plutôt que de s'aligner sur un modèle « low cost ». Si l'on veut créer « un choc », il faut réorienter un certain nombre de politiques. Le développement des capacités humaines est le premier enjeu. Développer des ressources en emplois et en qualifications doit devenir la priorité. Il faut garantir à tous l'accès à la formation car l'hécatombe actuelle des suppressions d'emplois se conjugue avec un manque de qualifications reconnues. Il s'agit aussi de réorienter le crédit. Les entreprises doivent pouvoir accéder au crédit ou à des fonds propres à des taux compatibles avec les contraintes de projets industriels. Sur 1100 milliards d'euros de crédits distribués en France, à peine 80, soit 7 % du total, vont directement à l'industrie manufacturière. 43 % des crédits sont, par contre, mobilisés au profit de la promotion immobilière et des sociétés holdings. Les banques on cessé de faire leur métier de base, financer les activités productives. Il est, enfin, nécessaire de développer une politique d'intégration dans l'emploi. La France compte 5 millions de salariés exclus temporairement ou durablement d'un vrai travail. C'est là que réside la cause de nos déficits. Tout cela ne se fera pas sans changer les règles de gestion des entreprises. La perte de compétitivité qui est réelle est à rechercher dans la vision financière et spéculative de l'économie qui s'est imposée depuis 25 ans. La notion de « création de valeur » a été détournée. L'entreprise est devenue un objet qui permet de spéculer, qui à l'amputer, pour faire plus de gains à court terme. L'enjeu crucial n'est pourtant pas la valeur actionnariale des entreprises. Il est collectivement d'accroître la richesse produite et de répondre aux besoins sociaux. C'est sur ce terrain que l'on attend un discours patronal novateur. (1) Économiste et syndicaliste. (L'Humanité Dimanche)
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