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Lundi 2 Juillet 2012 :
Éditorial Dans l'indifférence Par Jean-Paul Piérot Au XXIe siècle, des êtres humains chassés de la terre où ils sont nés par la faim et la guerre meurent accrochés à leurs embarcations de misère dérivant sur la Méditerranée. En peignant le Radeau de la Méduse, Géricault avait fortement impressionné le public de son temps. Les radeaux de la Méduse d'aujourd'hui sombrent dans l'indifférence avec leurs cargaisons d'hommes, de femmes et d'enfants, échouent dans les douves de l'Europe forteresse, face au Nord qui se claquemure devant la détresse du Sud. Le témoignage que nous livre ce jeune Éthiopien, aujourd'hui en sécurité aux Pays-Bas, est une sorte de récit d'un survivant de l'enfer, dont il s'est extirpé par la seule volonté de survivre, sans que la flotte de l'Otan qui croisait alors au large de la Libye ne lui portât secours. C'est aussi un implacable réquisitoire contre l'hypocrisie d'une partie au moins des dirigeants européens, au premier rang desquels se distinguait l'ex-président français Nicolas Sarkozy, qui ont fait ou soutenu la guerre en Libye, officiellement pour protéger la population civile, et ont laissé des réfugiés se noyer par centaines. Les Romains nommaient la Méditerranée Mare nostrum, c'est-à-dire notre mer à tous, qui relie le Nord et le Sud, l'Europe et l'Afrique. Du pont qu'elle fut de tout temps, elle est devenue un fossé où s'abîment des migrants sans papiers. Pour épouvantable qu'elle soit, la terrible aventure de Abu Kurke Kebato peut se décliner à des milliers de cas, de ces jeunes dont les vagues amènent les corps sans vie sur les plages du détroit de Gibraltar, sur les côtes des Balkans ou de l'Italie. Depuis 1993, on dénombre quelque 18 000 morts parmi ces Africains qui voulaient vivre un peu mieux mais qui furent contraints de mettre leur vie en jeu. Les mouvements populaires antidictatoriaux qui se sont succédé dans plusieurs pays arabes, de l'hiver au printemps 2011, furent malheureusement accompagnés d'une augmentation du nombre de morts sur le chemin de l'Europe. 1500 corps ont été repêchés aux abords des coques renversées des canots surchargés. Après avoir soutenu le dictateur Ben Ali jusqu'au bout, le gouvernement français a fermé ses portes à plusieurs milliers d'émigrés économiques tunisiens, comme il le fit peu après à l'encontre des immigrés qui voulaient fuir la Libye en pleine guerre. Cette violence faite aux hommes est insupportable. Trop longtemps elle a été en quelque sorte légitimée par un discours officiel suintant la xénophobie et amalgamant l'immigration à l'insécurité. Il est aujourd'hui grand temps de tourner cette page sinistre des relations avec la rive sud de la Méditerranée, temps de renouer avec l'humanité. Dans ce domaine, les symboles sont forts, toute déclaration officielle n'assumant pas une rupture franche avec la politique incarnée par Claude Guéant ne peut qu'entretenir des incompréhensions, Manuel Valls serait bien inspiré d'en prendre la mesure. (l'Humanité)
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