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Dimanche 1er Juillet 2012 :

 

Qu'est-ce qui bloque le SMIC ?

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Après 5 années sans « coup de pouce », le nouveau gouvernement a décidé de relever le montant du SMIC. D'un niveau modique, la mesure concernera un salarié sur dix et un quart des actifs à temps partiel.

Relever les bas salaires est une priorité. Depuis le milieu des années 1990, les écarts salariaux se sont creusés entre les salariés les mieux payés et les autres catégories. Dans une masse salariale qui, relativement à la valeur ajoutée, s'est réduite, la part revenant aux salariés modestes et moyens a diminué de plus de 2 points en 30 ans. À l'inverse, les 200 000 salariés les mieux payés ont vu leur part dans la masse salariale quasiment doubler.

L'augmentation du SMIC est donc justifiée. Mais entre les fortes attentes populaires en la matière, la campagne hostile du MEDEF et le pressing des marchés financiers, le gouvernement a fait le choix d'une revalorisation des plus limitées. Principal argument avancé : « Toute augmentation substantielle se retournerait contre l'emploi. » Force est pourtant de constater que jusqu'ici la modération salariale n'a sauvé ni l'emploi ni les petites entreprises, bien au contraire. La logique est en effet implacable. Le gel des salaires et la baisse du pouvoir d'achat confrontent la majorité des entreprises à un manque de débouchés. À qui ces dernières peuvent-elles vendre leur production si le pouvoir d'achat des salariés s'effondre ? Pourquoi dès lors embaucheraient-elles ?

La compétitivité est un faux argument. La quasi-totalité des salariés payés au SMIC sont employés dans des secteurs d'activité à l'abri de la concurrence internationale. Ainsi, près de 75 % des travailleurs payés au SMIC sont salariés du bâtiment, de la restauration et de l'hôtellerie, des services à la personne, de la distribution ou du commerce. Une hausse du SMIC pour les salariés de ces branches n'aura aucune conséquence sur la compétitivité de leur production.

L'obstacle principal à l'augmentation du SMIC n'est pas là mais réside dans son coût pour les finances publiques. L'explication est simple et renvoie aux effets pervers du système d'exonération de cotisations sociales pour les bas salaires. Ce mécanisme est calé sur le niveau du SMIC. Tout relèvement de ce dernier se traduit automatiquement par une extension des exonérations que le budget de l'État doit compenser : 1 % de revalorisation du SMIC coûte en fait 1 milliard d'euros aux finances publiques et autant de moins aux entreprises. On a ainsi vu par le passé des hausses du SMIC qui ne coûtaient rien à telle ou telle entreprise car elle récupérait sous forme d'exonération plus que ce qu'elle devait verser en salaire supplémentaire à ses smicards.

Les gouvernements successifs ont organisé depuis 20 ans une véritable « trappe à bas salaires ». L'urgence est de remettre à plat tout ce système d'exonérations qui coûte 30 milliards d'euros à l'État et agit comme un puissant frein, bloquant toute revalorisation substantielle des plus petits salaires.

Si l'on veut les sortir de cet étau il est nécessaire de desserrer la contrainte de la finance et de donner la priorité au développement des capacités humaines. S'il y a un problème à prendre en compte, c'est celui des conditions de financement des PME. Leur endettement est réel. Les charges financières qui y sont associées sont pénalisantes pour leur survie et leur développement. La mise en place d'un pôle financier public est une urgence.

La leçon est claire : pour revaloriser les salaires, il faut en même temps faire reculer les prélèvements du capital sur les activités productives, réformer la fiscalité, moduler les cotisations sociales en fonction de la politique d'emploi et de salaire de l'entreprise. La bataille sur le SMIC engage un affrontement sans précédent de critères, de normes et de valeurs. Elle confirme qu'une « politique globale du travail » est un levier prioritaire pour la sortie de crise.

(1)Économiste et syndicaliste.

(L'Humanité Dimanche)

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