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Jeudi 28 Juin 2012 :

 

Éditorial

Dîner

Par Maurice Ulrich

S'il suffisait d'un dîner en tête à tête ou presque comme celui d'hier soir entre la chancelière allemande et le président de la République française pour tracer l'avenir de l'Europe, non seulement cela se saurait mais ce serait inquiétant. On a trop vu, pendant toute la dernière période, c'est-à-dire pendant les mois qui ont précédé l'élection présidentielle, le couple Sarkozy-Merkel allier l'arrogance aux décisions antidémocratiques pour penser que c'est de cette sorte de rencontres que peuvent sortir les décisions qui répondront aux attentes des peuples. Il n'est certes pas interdit d'essayer de mieux se comprendre, cela s'appelle la diplomatie, mais l'Europe, c'est vingt-sept États, pas deux. Il n'est pas sûr, du reste et de ce point de vue, que le signal ainsi adressé aux vingt-cinq qui n'étaient pas à table hier soir soit le bon.

Il est vrai que François Hollande a amené dans le débat européen quelques éléments nouveaux et non négligeables. On parle désormais de croissance, de taxe sur les transactions financières, voire d'une forme d'eurobonds. Il en fut bien question la semaine passée à Rome entre des dirigeants espagnols, italiens, français et allemands, à l'instigation de la France. Mais le texte qui en ressort et qui devrait être proposé aujourd'hui aux Vingt-Sept par les présidents de l'Union européenne, de la Commission de Bruxelles, de l'eurogroupe et de la BCE en donne si l'on peut dire le prix à payer. Et il est chargé puisqu'il s'agit ni plus ni moins de soumettre toute avancée dans le sens évoqué plus haut à un transfert de souveraineté forcé et sans délai vers Bruxelles, donnant tout pouvoir aux instances dirigeantes européennes sur les budgets des États. Mais ce n'est pas tout : « Il est essentiel, indique également le document, d'avoir l'adhésion du public à des réformes qui auront des implications profondes pour la vie quotidienne des Européens. » En clair, il s'agit pour l'essentiel de tout ce qui touche aux services publics, à la solidarité nationale dont les systèmes d'assurance maladie et de retraites, au code et à la durée légale du travail, au salaire minimum, etc. Le tout au nom de la compétitivité et du marché. C'est précisément ce que veut l'Allemagne avant toute chose.

Va-t-on voir se dessiner au sommet européen ce qui ne serait qu'un marché de dupes ? À savoir un abandon social et démocratique généralisé en échange de quelques propos sur la croissance ? On sait que l'élection en France d'un président socialiste a été saluée en Europe par les forces démocratiques, progressistes, syndicales. Ces forces-là ne sont pas un handicap mais un point d'appui pour une autre Europe. Lors du sommet, le président français pourra utilement se souvenir que les Vingt-Sept, ce sont d'abord des peuples.

(l'Humanité)

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