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Mercredi 27 Juin 2012 :

 

Éditorial

Ce n'est pas maintenant...

Par Patrick Apel-Muler

Pour le Smic, le changement, ce n'est pas maintenant. Pour le porte-monnaie des ménages non plus. Le calcul est vite fait : en dehors de l'inflation, le coup de pouce sera de 6,58 euros par mois, 0,22 euro par jour. On comprend que Benoît Roger-Vasselin, président de la commission « sociale » du Medef, après la déploration d'usage, ait jugé que « c'est une hausse raisonnable » et que « le gouvernement a tenu compte de (nos) inquiétudes sur la situation des entreprises ». Le patronat se réjouit, les syndicats font grise mine. La CGT fait part d'une « très forte déception » et d'un « très mauvais signe envoyé aux salariés, qui se sont notamment exprimés en faveur de François Hollande ». Pour FO, cette décision « va engendrer frustration et mécontentement ».

Les chiffres relativisent, à tout le moins, les hauts cris poussés sur l'avenir des entreprises confrontées à une hausse substantielle du Smic. 5 % de « coup de pouce » auraient représenté 53,75 euros de plus par mois. C'était à la portée de toutes les situations et pouvait être immédiatement décidé. Une telle mesure, socialement juste, était également économiquement nécessaire face à l'affaissement de la consommation intérieure. Une enquête de Promotourisme réalisée auprès de 2050 Français représentatifs de la population montre que seuls 53 % de nos concitoyens partiront en vacances, qu'elles ne dureront en moyenne pas plus de treize jours et que moins d'argent (une baisse de 2 %) y sera consacré. Tandis que les ménages vont être frappés par une nouvelle hausse du gaz – voire à un matraquage de celles qui avaient été bloquées -, on voit comment la pingrerie d'aujourd'hui risque de se répercuter sur bien des branches productives qui seront confrontées à une moindre demande.

L'obsession de la baisse du coût du travail – sous ses formes de compression des salaires ou de suppression des cotisations sociales, comme le prône le FN – enferme notre économie dans un cercle vicieux qui étouffe la croissance. Celle-ci ne peut être prônée à Bruxelles et entravée à Paris. Il faudrait au contraire élever la qualité et la valeur du travail, et baisser les frais financiers – les charges d'intérêts bancaires et les dividendes payés par les sociétés ont dépassé 309 milliards en 2010 -, le coût du crédit qui ligote les PME, décourage leurs initiatives et plombe leur trésorerie. De même, le dogme de la baisse de la dépense publique, qui conduirait à réduire sévèrement le nombre de fonctionnaires pour créer des postes d'enseignants ou de policiers, aura des conséquences sévères sur la qualité des services publics – qui profitent d'abord aux familles modestes -, et le gel des dépenses sociales dès 2013 frappera les milieux populaires. Si le relèvement de la fiscalité des plus riches est indolore pour l'économie nationale, la stagnation de l'investissement public plombera l'emploi dans les territoires. Les choix qui seront arrêtés dans le cadre du collectif budgétaire présenté le 4 juillet seront une forte entrée en matière pour la nouvelle Assemblée nationale. S'aligneront-ils sur les critères d'austérité réclamés par Angela Merkel ? Se plieront-ils aux injonctions des PDG de Télecom Italia, Axia et Siemens qui, hier, ont exigé des dirigeants européens, l'instauration d'un fédéralisme autoritaire pour combattre les « mirages de la relance par la consommation, la dépense publique et les transferts » ? C'est à cette première épreuve que seront jugés les députés de la majorité de gauche. De toute la majorité de gauche.

(l'Humanité)

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