> Presse  —>Points d'appui

 

Jeudi 31 Mai 2012 :

 

Éditorial

Points d'appui

Par Maurice Ulrich

Jean-François Copé est de ces clients indélicats qui laissent l'ardoise à ceux qui leur succèdent, ou de ces locataires qui ayant ravagé un appartement laissent les travaux à ceux qui emménagent. S'il estimait hier, feignant d'être beau joueur, que les rencontres sociales d'hier étaient

« une excellente chose », il se disait inquiet que l'on y parle retraites et pouvoir d'achat et non compétitivité car

« le premier enjeu, c'est la création d'emplois, et pour cela, il faut voir comment nos entreprises peuvent localiser leurs activités en France plutôt que de se délocaliser ailleurs ». Quel culot et quel cynisme. Car c'est bien l'état des lieux, tels qu'ils ont été laissés par deux gouvernements de droite successifs, que la CGT a dressé à l'intention du premier ministre. Un état des lieux aggravé dans la toute dernière période du quinquennat de Nicolas Sarkozy, et alors même qu'il est clair comme de l'eau de roche que de multiples plans sociaux ont été différés et planqués sous les tables des conseils d'administration jusqu'à l'élection présidentielle.

La manoeuvre est grossière. Ce n'est pas seulement pour améliorer son bilan aux yeux des Français que le pouvoir précédent a ainsi dissimulé la réalité. C'était aussi, car la naïveté n'est pas de mise en la matière, pour laisser derrière lui un champ de mines. Ce n'est pas par un hasard si le Figaro d'hier titrait ainsi : « Jean-Marc Ayrault confronté aux revendications syndicales ». Bien sûr que la droite veut la confrontation. Mais, pour être grossière, la manoeuvre n'en spécule pas moins sur les attentes des Français. 58 % d'entre eux, selon notre sondage d'hier, estiment que l'emploi doit être le sujet prioritaire des discussions à venir. Comment en serait-il autrement quand, selon les chiffres présentés hier par la CGT, 45 000 emplois sont immédiatement menacés, avec tout ce que cela représente d'angoisse pour les salariés concernés, leurs proches, leurs familles, les communes où ils vivent.

Sans doute le premier ministre n'a pas été surpris. La droite a beau répéter sur tous les tons qu'un terrible retour aux réalités attend le gouvernement, ce n'est qu'une incantation. Non, la question, c'est évidemment comment faire face, avec quels moyens ? Ce n'est certes pas dans la confrontation, comme l'espère la droite, mais dans la coopération avec les forces syndicales et le mouvement social. Jean-Marc Ayrault souhaite « un dialogue social rénové ». De premiers gestes ont été faits, comme à Fralib. Rien n'est assuré, mais les salariés savent que si la droite était encore au pouvoir, ce n'est pas le ministre mais les CRS et les déménageurs de l'outil de production qui leur auraient rendu visite.

Les marges de manoeuvre existent, quoi qu'en disent les croisés de l'ultralibéralisme qui osent encore prétendre, comme hier encore le chroniqueur économique Yves de Kerdrel, que lorsqu'un plan social est mis en oeuvre c'est « pour sauver d'autres emplois ». Les licenciements boursiers, il ne connaît pas. Le projet de loi les concernant, déposé par les communistes au Sénat au mois de février, peut être discuté très vite. Mais, plus profondément, il est impérieux de stopper l'avalanche de plans sociaux avec un moratoire, et avec la volonté de passer aux actes dans la relance de la croissance. De ce point de vue, retraites et pouvoir d'achat ne peuvent en être déconnectés. Au contraire, la croissance appelle une relance de la demande. Pour tout cela, pour réussir, les syndicats et leurs propositions, le mouvement social dans son ensemble, l'intervention des salariés et des citoyens ne sont pas des handicaps, mais des points d'appui.

(l'Humanité)

  haut de page