> Presse  —>Où sont les 1000 milliards d'euros prêtés aux banques ?

 

Dimanche 27 Mai 2012 :

 

Chronique

Où sont les 1000 milliards d'euros prêtés aux banques ?

Jean-Christophe Le Duigou (1)

Qu'ont fait les banques des 1000 milliards d'euros que leur a avancés, pour trois ans, la Banque centrale européenne ? Cette opération menée en décembre 2011 et février 2012 avait pour but de relancer l'économie et d'inciter les banques à développer le crédit. Elle n'a pas eu l'effet escompté.

Sur les trois premiers mois de 2012, les crédits accordés aux entreprises en Europe ont fondu de 14 milliards d'euros. L'enveloppe des nouveaux prêts aux ménages s'est quant à elle réduite de 5 milliards. Une banque sur deux a, entre 2011 et début 2012, resserré les conditions de crédit aux entreprises.

Mais les 1000 milliards n'ont pas été perdus pour tout le monde. La moitié de la manne a permis de soulager, pendant un temps au moins, le poids des dettes publiques. Cela a été clair pour l'Espagne et pour l'Italie, qui ont vu la pression sur le taux de leur dette se réduire après les deux opérations. Il faut dire que l'affaire était profitable aux banques. Ces dernières ont emprunté à 1 % auprès de la BCE pour refinancer des États à des taux compris entre 3 % et 7 %. Les établissements espagnols, par exemple, ont acheté pour 60 milliards d'euros d'actifs publics entre décembre et janvier. Les banques françaises n'ont pas été en reste mais elles n'en parlent pas. Il semblerait qu'elles n'ont pas été les dernières à se précipiter au guichet de la BCE, passant juste derrière les espagnoles et les italiennes.

L'autre moitié de la manne a suivi un curieux circuit avec l'objectif d'anticiper sur les besoins de refinancement à venir du système bancaire. Au lieu de se prêter entre elles l'argent disponible comme c'est l'habitude, les banques ont replacé leurs avoirs auprès de la BCE. 400 des 1000 milliards alloués aux banques ont fait un simple aller-retour pour revenir dans les coffres de la BCE. Ce que confirment les statistiques : durant les quatre derniers mois, le montant des dépôts des banques auprès de la BCE a doublé, passant de 400 à 800 milliards d'euros.

Il ne faut pas oublier que les banques de la zone euro ont une dette obligataire conséquente, traduisant leur logique de financiarisation à outrance. 600 milliards d'euros d'obligations arrivent à échéance tout au long de l'année 2012. L'argent de la BCE servira à rembourser cette dette obligataire. L'opération aura sauvé une nouvelle fois les principales banques européennes, sans pour autant garantir un meilleur financement de l'activité économique. Ce que l'éditorialiste de « BFM Business », Stéphane Soumier, admet avec cynisme, dans une chronique récente : « L'argent de la BCE n'a pas d'autre but que de sécuriser le système bancaire. Il n'a jamais été question de l'utiliser dans le financement de l'économie, pas plus qu'il ne doit servir à soutenir la dette des États. » Salariés, citoyens, circulez, il n'y a rien à voir !

À l'inverse, un proche de François Hollande déclare : « Il va falloir revenir sur cette opacité des banques. » C'est bien sûr un préalable justifié. Savoir est indispensable. Mais la question qui se pose est celle de la gestion financiarisée des banques, de l'usage de la création monétaire et des pouvoirs de la BCE. L'objective clé d'une croissance utile et durable, c'est celui de l'emploi. La relance pour l'emploi, et non pour le profit et la garantie des placements, a besoin d'un système bancaire échappant à la contrainte de la financiarisation. Une BCE réorientée afin que la création monétaire serve à alléger les dettes publiques et à relancer les services collectifs et l'investissement efficace est indispensable.

(1) Économiste et syndicaliste.

(L'Humanité Dimanche)

  haut de page