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Mercredi 23 Mai 2012 :

 

Éditorial

Le choix

Par Maurice Ulrich

Faut-il jeter les Grecs par-dessus bord ou préfère-t-on qu'ils sautent eux-mêmes ? Le Monde d'hier, à quelques heures du sommet européen, semblait opter pour la seconde solution en titrant son éditorial « L'euro ou la drachme, aux Grecs de choisir ». En somme, tout dépendrait d'eux comme l'assène la suite : « Il n'est pas admissible qu'un petit pays, par son refus des règles du jeu, puisse continuer à mettre en danger l'ensemble du continent. » Voilà ce qui court dans les rédactions et les dîners en ville, voire dans une partie de l'opinion. On pourrait déjà remarquer, au passage, que si la question se pose ainsi, qu'un tout petit pays puisse mettre en péril un continent, c'est peut-être que ce n'est pas du seul ressort du petit pays et que le continent a des pieds d'argile.

En d'autres termes, ce à quoi il faut répondre, c'est peut-être à ceci, clairement. Un, le problème de la Grèce est-il un problème grec ou un problème de l'Europe ? Deux, ce qui se passe en Grèce aujourd'hui est-il à prendre comme un danger ou comme une chance ? Là encore la cause semble entendue. Les élections grecques n'auraient fait que renforcer des partis, citons le Monde, là encore, « qui rejettent, sinon l'Europe, en tout cas les règles du jeu de l'Union monétaire ». Traitée d'un revers de plume, la différence pourtant n'est pas mince. Et c'est tout de même un peu fort de café que d'amalgamer ainsi en trois mots l'Europe des peuples, des nations, des valeurs démocratiques quand elles sont partagées et « les règles du jeu de l'Union monétaire ». On ne saurait mieux dire au fond que, pour les partisans de l'Europe des marchés, de l'Europe comme elle est aujourd'hui, injuste, brutale, autoritaire, le seul continent qui vaille est celui de la finance.

La visite en France et la conférence de presse d'Alexis Tsipras aux côtés de Jean-Luc Mélenchon et de Pierre Laurent, président du Parti de la gauche européenne dont Tsipras est le vice-président, ce qui semble avoir échappé à nombre de commentateurs, a certes trouvé une place (relative) dans les médias. Mais c'est, d'une manière générale, au prix de ces clichés que l'on nous rabâche depuis des mois sur les populismes et les votes protestataires. Il faut bien sûr, pour cela, occulter les analyses et les propositions de cette gauche qui grandit en Europe, avec les forces sociales, avec les syndicats.

Mais la question grecque est bien une question pour toute l'Europe, non seulement parce que sa défaillance serait un séisme économique, mais parce qu'elle révèle la crise profonde de l'Europe des marchés. Ce sont la finance et la recherche effrénée de la croissance financière qui ont entraîné les Grecs, et pas seulement eux, dans la spirale des déficits puis d'une austérité qui tue le malade. Dans ces conditions, la relance de la croissance est entrée de nouveau dans le débat, portée par la France, mais pas seulement. C'est tant mieux et c'est le signe que les temps changent, y compris sous la pression des événements et des opinions. Le rôle de la BCE n'est plus un tabou. Mais les recettes d'hier ont plongé l'Europe dans la crise. Elles s'appellent flexibilité, privatisations, dumping social, baisse du coût du travail, réduction du champ des services publics. Une relance de la croissance dans cette direction serait un contresens. C'est le contraire qu'il faut faire, avec de vraies solutions de gauche, face aux marchés, avec les peuples. C'est cela le choix.

(l'Humanité)

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