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Dimanche 20 Mai 2012 :
Face à la déconstruction européenne Par Francis Wurtz (1) La zone euro peut supporter une sortie de la Grèce. Voilà, en substance, le message lancé le 11 mai par Wolfgang Schäuble, ministre allemand des Finances. « Nous avons beaucoup appris ces deux dernières années et construit des mécanismes de protection », a précisé le possible futur président de l'Eurogroup. Il faisait allusion à la fois au traité de discipline budgétaire et au mécanisme européen de stabilité (MES) destiné à emprunter des fonds sur le marché financier (à la place des États membres qui en sont de fait exclus), moyennant des plans d'austérité draconiens, des « réformes structurelles » ultralibérales et une quasi-mise sous tutelle des institutions des pays « assistés ». La veille, un député allemand du Parti libéral, au nom prédestiné, Otto Fricke, avait fait le même constat en termes encore plus cyniques : « Un défaut désordonné de la Grèce ne fait plus peur à personne, car les États de la zone euro n'ont rien fait d'autre, ces derniers mois, que de prendre des précautions pour une telle éventualité. » Bref, peu nous importe le sort de 10 millions de Grecs (puis d'autres, le cas échéant), dès lors que le « noyau dur » de la zone euro (l'expression est de M. Schäuble en 1994 !) est préservé... Cette déconstruction européenne appelle une vive réaction de la gauche européenne. Certes, les promesses lyriques du traité de Lisbonne, annonçant, dès son article 1, notre entrée dans « une nouvelle étape du processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples d'Europe », ne nous avaient jamais arraché des larmes d'émotion, tant elles manquent de crédibilité Mme Merkel n'avait-elle pas lancé, dès mars 2010, un pavé dans la mare, au tout début de la crise grecque, en affirmant tout de go : « Une manifestation de solidarité rapide ne peut pas être la bonne réponse. » À ses yeux, la priorité était de « mettre de l'ordre dans tout cela », estimant (déjà) qu'il fallait pouvoir exclure « en dernier recours » un pays de la zone euro. Le véritable état d'esprit de la classe dirigeante allemande (et partiellement européenne) nous était donc connu depuis belle lurette. Ce qui est nouveau dans les dernières déclarations allemandes, c'est qu'en haut lieu on considère que ce qui était un souhait de la chancelière en 2010 est devenu réalité en 2012, grâce aux « mécanismes » élaborés entre-temps : le traité Merkozy et le MES. Quelles conséquences la gauche européenne tire-t-elle de cet aveu aussi scandaleux qu'irresponsable ? Cela devrait être de témoigner de façon visible et claire toute sa solidarité au peuple grec. Accepter de voir imposer à un pays membre de telles régressions, soumissions, humiliations et finalement une expulsion de la zone euro, reviendrait à signer l'arrêt de mort de l'idée même d'Union européenne. Honte à ceux qui osent faire l'amalgame à cet égard entre nos amis de Syriza qui sont au coeur d'une insurrection démocratique et salutaire et les nazillons héritiers des colonels ! Toute la gauche gagnerait à mesurer l'urgence à s'engager dans une action sans précédent par son ambition et son ampleur pour une refondation de la construction européenne autrement plus exigeante qu'un protocole additionnel au traité Merkozy ! Au centre des négociations, mais aussi des luttes, des débats... et des votes, la transformation des missions de la Banque centrale européenne doit en particulier trouver toute sa place. Avec un objectif désormais vital : donner aux Européens les moyens de se libérer de la dictature des marchés financiers pour pouvoir donner souverainement à leur Union un nouveau cap : l'humain d'abord. (1) Député honoraire du Parlement européen. (L'Humanité Dimanche)
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