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Mercredi 2 Mai 2012 :

 

Éditorial

Nécessité citoyenne

Par Paule Masson

Elle s'est exprimée haut et fort, hier, cette envie de se retrouver, de revendiquer, ouvriers et chômeurs, fonctionnaires et précaires, employés et étudiants, syndiqués ou pas. Ensemble. Comme pour conjurer le poison de la division, inoculé par celui qui, depuis des jours et des jours, multiplie les provocations. Les quelque 300 cortèges qui ont ensoleillé cet entre-deux tours d'élection ont ramené dans la lumière la colère légitime, légitimement exprimée dans la rue, des dizaines de milliers de salariés et citoyens, ceux qui, comme l'a dit un manifestant lillois, « font tourner la France et aimeraient que les richesses soient mieux partagées ». Il flottait un air de résistance plus que bienvenu, un peu partout en France, pour refuser de se laisser voler le 1er Mai, qui, depuis cent vingt ans, est un moment syndical, une journée internationale de revendications sociales.

L'idée de cette journée a pris corps en 1889, quand la IIe internationale a décidé de faire du 1er mai une journée en faveur de la réduction du temps de travail, en hommage au combat des ouvriers américains de McCormick qui avaient réussi à imposer, au prix de la vie de plusieurs d'entre eux, la journée de huit heures. Ceux-là arboraient le drapeau rouge, rouge du sang des ouvriers. Que Nicolas Sarkozy ose s'approprier cette date ne tient pas seulement du contresens. Tout son bilan, tout son programme ne vise qu'à déréglementer le travail, en allonger la durée... Hier encore, il a blâmé les 35 heures, fustigé la retraite à 60 ans, vitupéré toute réglementation contenue dans le Code du travail, vanté la baisse du coût du travail.

Mais il y a pire. Nous savons maintenant que l'OPA qu'il réalise sur le 1er Mai vise une ambition bien plus dangereuse que la seule régression sociale. Depuis le 22 avril, beaucoup de démocrates, y compris à droite, se sont alarmés du terrain glissant qu'il emprunte. Beaucoup se sont dit effrayés de ses discours aux relents pétainistes. Comme Pétain en son temps, il a appelé hier, à « abandonner cette vieille lutte des classes ». Et sur la place du Trocadéro, Nicolas Sarkozy a franchi un pas de plus dans le projet d'une société autoritaire, se permettant de déposséder la classe ouvrière de son histoire, de récupérer Jaurès, Moulin, Dreyfus. « Posez vos drapeaux rouges et servez la France ! » a-t-il ordonné aux syndicats. Dans « sa » France de demain, on obéit ou on abdique.

Dans ce contexte, battre ce personnage, qui se montre de moins en moins compatible avec la République, en deviendrait presque une oeuvre de salubrité publique. Les manifestants ne s'y sont pas trompés. Ils ont respecté ce 1er Mai syndical en réclamant des emplois, pas des précaires ; des salaires, pas de misère ; de la justice sociale pour contrer la crise et relancer l'économie. Mais ils n'ont pas pu s'empêcher d'y adjoindre un « Dégage ! », ce slogan devenu célèbre en Tunisie, en Égypte et dans tout le monde arabe pour avoir fait tomber les dictateurs. « VRAI travailleur, VRAI manifestant, VRAI mécontent, VRAI votant », « le 6 mai, faut pas que Sarkommence », pouvait-on lire sur les pancartes. Le 1er Mai a, cette année, une « symbolique particulière », a défendu Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, placé par l'arrogant candidat de l'UMP dans le clan des « insulteurs » parce qu'il a réitéré son appel à le renvoyer aux oubliettes de l'histoire dans quatre jours. Plus que jamais, tourner la page du sarkozysme est une nécessité citoyenne.

(l'Humanité)

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