> Presse —>Le révélateur espagnol |
Samedi 17 Mars 2012 :
Le révélateur espagnol Par Francis Wurtz (1) Les négociations des autorités grecques avec les créanciers privés sur l'effacement d'une partie de la dette du pays ont, logiquement, focalisé notre attention la semaine dernière. Or, dans le temps, d'autres événements de grande portée se déroulaient non loin de là, en Espagne. On le sait, en décembre dernier, le très emblématique chef de l'ex-gouvernement socialiste, José Luis Zapatero, avait subi une défaite électorale retentissante, largement due à sa politique économique d'une orthodoxie libérale à toute épreuve, qui a contribué à plonger l'Espagne dans une crise d'une brutalité inouïe. Les deux dernières années resteront dans la mémoire collective espagnole comme celles d'un véritable calvaire, que résument trois chiffres monstrueux : près d'un Espagnol sur quatre, dont quasiment un jeune de moins de 25 ans sur deux, est au chômage ; dans un million et demi de foyers espagnols, pour une seule personne n'a un emploi ! Cette situation sinistrée n'a pas empêché la Commission européenne de fixer – et le nouveau premier ministre de droite d'accepter – des objectifs drastiques de « réduction des déficits publics ». Conservateur discipliné, Mariano Rajoy s'engagea à réaliser un « ajustement » budgétaire de près de... 40 milliards d'euros en 2012 et à mettre en oeuvre les « réformes » attendues par Bruxelles et les « investisseurs » : retraite à 67 ans ; non-emplacement des fonctionnaires partant en retraite ; gel ou réduction des salaires des agents publics ; réforme « très ambitieuse » (dixit Sarkozy) du marché du travail ; purge sévère dans les régions (notamment chargées des dépenses d'éducation et de santé)... Il arriva ce qu'il devait arriver : d'un côté l'exaspération des Espagnols ; de l'autre un enfoncement du pays dans la crise (chute vertigineuse de la consommation ; perte de recettes publiques ; récession assurée ; destruction prévue, en 2012, de... 620 000 emplois supplémentaires !). Tant et si bien que le très docile leader de la droite espagnole dut lui-même, à son corps défendant, se muer en trublion de l'Europe libérale : le 2 mars dernier, il signa comme il se devait à Bruxelles le nouveau traité de discipline budgétaire... avant d'annoncer à Madrid sa « décision souveraine » de ne pas respecter, cette année, ses engagements sur la réduction des déficits (ils devraient atteindre 5,8 % du PIB en fin d'année, au lieu des 4,4 % promis). Depuis, à Bruxelles, on ne sait plus sur quel pied danser face à ce qui est considéré comme un « coup de force » particulièrement inattendu. Accepter de négocier un « assouplissement » des contraintes avec Madrid ôterait toute « crédibilité » à la nouvelle « gouvernance économique » chère au duo Merkozy : si l'Espagne peut, unilatéralement et impunément, s'affranchir des règles européennes sur les déficits, le nouveau traité risque d'être mort-né. À l'inverse, croiser le fer avec la troisième économie de la zone euro n'irait pas sans risque pour l'Union européenne tout entière. Que faire ? Dans l'immédiat, la Commission Barroso a ouvert une « procédure de sanctions pour déficit excessif » et l'eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro) a commencé à examiner les grandes lignes du budget espagnol. Tous espèrent que le premier ministre conservateur reviendra au plus vite dans le rang. Mariano Rajoy ne demanderait sans doute pas mieux. Mais il est douteux que son peuple (et les réalités économiques elles-mêmes) le lui permette. Ce révélateur espagnol en dit long sur l'espace politique qui s'ouvre aux luttes multiformes pour mettre en cause la dérive « austéritaire » de l'Union européenne. (1) Député honoraire du Parlement européen. (L'Humanité Dimanche)
|