> Presse  —>Faut-il brûler le « modèle social européen » ?

 

Lundi 12 Mars 2012 :

 

Faut-il brûler le « modèle social européen » ?

Par Francis Wurtz (1)

Mario Draghi, le nouveau président de la Banque centrale européenne, celui-là même qui, par deux fois en quelques semaines, a usé du pouvoir illimité de son institution de créer de la monnaie pour mettre, chaque fois, quelque 500 milliards d'euros à la disposition des banques, au taux de 1 % - sans aucune condition -, vient de laisser tomber le couperet sur toute ambition sociale en Europe, à l'avenir : « Le modèle sociale européen est mort », a-t-il asséné, le 24 février dernier, dans le « Wall Street journal » et le grand argentier de l'Europe libérale de prévenir solennellement les responsables politiques soumis aux pressions de leur peuple : inutile de chercher une quelconque « échappatoire » à l'austérité ! Tout relâchement à cet égard déclencherait aussitôt les foudres des marchés financiers.

Jamais encore le tournant austéritaire de l'Union européenne n'avait été aussi cyniquement officialisé. Il est vrai que Mario Draghi possède l'atout suprême pour un dirigeant européen par les temps qui courent : il n'a pas de comptes à rendre aux électeurs ni même aux gouvernements. Il est libre ! C'est l'homme par excellence qui sait parler à l'oreille des « investisseurs ». Avec ses alliés Merkel et Sarkozy, il pense avoir trouvé la parade absolue aux tentations laxistes de quiconque voudrait revenir aux temps anciens où les Européens – raille Draghi – passaient pour « payer les gens pour ne pas travailler ». Cette assurance tout risque contre le gaspillage social, c'est le nouveau traité instituant durablement une discipline budgétaire de fer et des « réformes structurelles » à même de rétablir la confiance des marchés.

C'est dire si le positionnement de la gauche vis-à-vis de ce projet de traité constitue un enjeu de société : oui ou non, faut-il brûler le modèle social européen ? Comment comprendre dès lors que François Hollande considère, pour justifier son refus d'organiser, s'il est élu, un référendum sur ce traité, que celui-ci « ne marque pas de vraie rupture » ? Certes, ce traité se situe dans le prolongement des précédents, mais il vise à en radicaliser comme jamais tous les effets pervers ! C'est si vrai que le candidat socialiste souhaite sa « renégociation ». Soyons donc clairs : quel serait le contenu à donner à ce bras de fer avec les dirigeants européens les plus intraitables ? Pour François Hollande, ce traité « devra être renégocié dans un sens qui permette aussi qu'il y ait, en plus des disciplines budgétaires indispensables, un volet de croissance et d'emploi » (journal de France 2, le 8 février 2012). Son directeur de campagne enfonce le clou : c'est une « renégociation qui ne tourne pas le dos à la philosophie de la discipline budgétaire ». En quoi pourrait bien consister un « volet de croissance et d'emploi » sans une remise en cause de la « philosophie de la discipline budgétaire » dont la Banque centrale européenne reconnaît qu'elle vise à enterrer le modèle social conquis au fil des générations depuis un demi-siècle ? À Bruxelles, au demeurant, tout le monde a « la croissance et l'emploi » à la bouche dès lors que cela ne conduit pas à toucher à la « philosophie » de l'austérité. Pour la Commission européenne, « relancer la croissance (suppose) de relancer le marché unique » (c'est-à-dire la concurrence libre et non faussée). Pour l'Italie et l'Espagne, la croissance nécessite de faciliter les licenciements. Pour la Grande-Bretagne, on stimule la croissance en multipliant les accords de libre-échange avec les pays à très bas salaires.

La gauche a un tout autre combat à mener ! Il passe par la mise en échec de ce traité diabolique et de sa « philosophie ». Il n'est pas trop tôt pour ouvrir en grand ce débat.

(1) Député honoraire du Parlement européen.

(l'Humanité Dimanche)

  haut de page