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Samedi 3 Mars 2012 :

 

Éditorial

Sarkozy joue à l'extérieur

Par Patrick Apel-Muller

Une méfiance de chat échaudé conduit d'abord à dénoncer la ficelle, l'artifice, l'usine à faux-semblant montée à la hâte par l'Élysée. Neuf cents usines ont fermé dans les dernières années, toutes les promesses ont été jetées à la rigole et voilà qu'avant vote, des sursis à liquidation sont prononcés sur des sites emblématiques, Pétroplus, Lejaby, Albany, Florange... La liste n'est pas si longue, l'avenir reste précaire, mais les entreprises concernées sont celles où les salariés font du bruit, agglomèrent à leur cause les populations voisines et les élus locaux, ne se laissent pas endormir par la monnaie de singe des compassions ministérielles. Face à eux, à cinquante jours de l'élection, Nicolas Sarkozy ne peut se contenter du laisser-faire libéral qui est son credo quotidien. Il est obligé de faire quelque chose, d'abandonner les champs de l'immigration, de l'insécurité ou du chaos international dont il avait fait ses terrains d'élection pour s'aventurer sur les sujets sociaux. Là, il ne joue plus à domicile... Voilà la vraie nouveauté des annonces en cascade et des coups de téléphone de Xavier Bertrand aux amis de la droite qui plastronnent au CAC 40. Pour la première fois depuis 1981, la question de l'emploi industriel est au premier plan. La revendication de la justice sociale résonne dans des grands médias qui préfèrent la commisération sociale. La classe ouvrière n'est plus dans la seule posture de victimes ; elle secoue la donne politique.

C'est une chance pour la gauche et une crainte pour ceux qui voudraient la convertir à la religion des marchés. « L'austérité juste », dont se réclamait François Hollande à l'orée de sa campagne, répond mal à ce climat. Voilà donc le candidat socialiste éprouvant ses adducteurs dans un grand écart au-dessus de la Manche, improvisant à Paris l'instauration d'une taxe à 75 % pour les très, très hauts revenus et se précipitant à Londres pour rassurer la City. A-t-il suffisamment mesuré le basculement qui s'est opéré dans l'opinion avec la mobilisation sur les retraites ? Dès lors, les sujets sociaux sont passés de très loin en tête des préoccupations dans toutes les enquêtes d'opinion et un socle jusqu'à présent inébranlable des deux tiers des Français a continué à refuser une réforme que les gouvernants européens et le patronat ont décrété obligatoire. N'y a-t-il pas comme un parfum suranné, des relents de Tapie mâtinés de blairisme, dans cette écoute inquiète des marchés ?

La question sociale perturbe aussi la campagne du Front national, qui croit pouvoir détourner la colère contre les immigrés surexploités. La sauce prend moins bien et Le Pen père revient aux fourneaux avec les vieilles recettes de l'extrême droite. Il a tout de suite désigné l'ennemi, le Front de gauche et Jean-Luc Mélenchon qui pourrissent la vie de Le Pen fille. Quand on parle fiscalité, les masques tombent et le FN proteste qu'on s'en prenne aux très, très riches. Quand les syndicalistes sont en pleine lumière, les gros bras de l'extrême droite abonnés aux commandos patronaux sont rejetés dans l'ombre. Quand la revendication de l'égalité est proclamée, elle bat en brèche l'idéologie de l'inégalité naturelle qui fonde l'ordre capitaliste. La gauche peut aujourd'hui marquer des points non d'abord pour grossir un pécule électoral mais pour donner plus de force et plus d'espérance à ceux qui en manquent, plus de garanties sociales à ceux qui en sont dépourvus. « Il y a toujours un rêve qui veille », écrit Aragon.

(l'Humanité)

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