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Vendredi 2 Mars 2012 :

 

Éditorial

Cris et abstentions

Par Maurice Ulrich

Les cris d'orfraie qui ont accueilli à droite la proposition du candidat socialiste de porter à 75 % l'imposition des revenus dépassant 1 million d'euros par an sont à la fois cocasses et édifiants. Cocasses par l'excès, d'aucuns voyant déjà Marx percer sous François Hollande et la moitié de la France prendre le chemin de l'exil après une nouvelle nuit du 4 août abolissant les privilèges, d'autres comme François Bayrou parlant de « déconomètre », tandis que Mme Le Pen parlait d'une idée « absurde et idéologique ». Absurde, vraiment, pour celle qui feint de se réclamer de la France populaire ? Mais ces cris étaient aussi édifiants, car cette proposition, somme toute très limitée si l'on se souvient que l'impôt Roosevelt dès les années trente était de 90 % au-dessus de 200 000 dollars, a aussitôt déclenché chez les défenseurs des riches les réactions épidermiques de ceux à qui l'on arrache la peau

Certes, la portée de la mesure est bien limitée, loin, très loin d'une véritable réforme fiscale juste, ambitieuse, allant vers plus d'égalité. Ce n'est pas avec ça que la France sera remise d'aplomb et le coup, si coup il y a, est assez largement symbolique. Mais, outre qu'un symbole de cette sorte ne fait pas de mal après tout, peut-être faut-il y voir, comme lors du discours du Bourget désignant la finance, une manière de prise en compte par le candidat du PS de ce qui bouge dans l'opinion, en particulier avec la campagne du Front de gauche. Et cela, c'est l'intérêt de toute la gauche et de tous les Français qui veulent du vrai changement. Plus le débat viendra sur les questions de la justice sociale et fiscale, des salaires, de l'emploi, et plus les thèmes de la droite et ceux du Front national, dont on sait qu'ils se confondent, reculeront dans l'opinion.

Il est dommage, fort dommage de ce point de vue que les sénateurs socialistes n'aient pas voulu s'opposer à l'adoption du mécanisme européen de stabilité, comme les communistes et le Front de gauche le leur avaient instamment demandé. Le choix de l'abstention, c'était accepter de laisser décoller le premier étage du traité européen Sarkozy-Merkel, que les Vingt-Sept sont appelés à mettre en place à partir d'aujourd'hui, au prix d'un véritable déni de démocratie. Nicolas Sarkozy agite ses deux référendums sur les immigrés et les chômeurs comme des étendards de la démagogie et de la xénophobie, mais il rejette toute idée de référendum, comme le demande le Front de gauche, sur un traité européen qui va dessiner pour des années un paysage politique soumis aux marchés et posant un talon de fer sur les peuples. C'est contre ce même traité et contre l'austérité qu'il programme, sans relance de la croissance que manifestaient hier, dans toute l'Europe, des centaines de milliers de salariés à l'appel de tous les syndicats européens. Tous.

Dans un communiqué, toujours hier, le candidat socialiste disait partager l'inquiétude de ces syndicats et des salariés contre ce traité visant à établir « une discipline budgétaire et une austérité injuste qui risque d'empêcher le retour de la croissance ». Mais où est la cohérence quand les sénateurs et les députés socialistes ont accepté en s'abstenant que soit posée la première pierre de ce projet ? Au fond, la logique de tout cela est assez claire. Que ce soit en matière de fiscalité, de lutte contre la finance ou pour une autre construction européenne dont nous traçons ici les grands axes, plus de Front de gauche montera et mieux la gauche se portera.

(l'Humanité)

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