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Dimanche 19 Février 2012 :

 

Éditorial

Travailler moins, travailler tous

Par Paule Masson

Puisque le candidat bonimenteur en chef se fend de vouloir « dire la vérité », commençons par en rétablir une : comment peut-on se présenter comme un homme qui veut « donner la parole au peuple » après la lui avoir confisquée pendant cinq ans ? N'est-ce pas au nom de sa « légitimité du président élu » que Nicolas Sarkozy a bâillonné la parole des syndicats et méprisé celle de la rue pendant la réforme des retraites ? Et qu'en serait-il du statut de La Poste s'il avait accepté la demande populaire de référendum sur la question de la privatisation ? On peut multiplier les thèmes, évoquer par exemple la règle d'or budgétaire, quand une réforme touche à l'essentiel, qu'il s'agisse du contrat social, du Code du travail ou des institutions, Nicolas Sarkozy passe en force.

En ce moment même, un peu trop loin malheureusement des spots médiatiques, un hold-up démocratique est en cours. Les syndicats ont été sommés fins janvier par le chef de l'État, devant des millions de téléspectateurs, de négocier avec le patronat sur la question des accords compétitivité-emploi. Avant même que la discussion s'engage – la première réunion a lieu aujourd'hui -, on connaît le contenu du texte exigé par le couple Sarkozy-Parisot : délivrer un permis de chantage aux employeurs. Pis, l'UMP a déjà fait adopter, en catimini, un article de loi autorisant les entreprises à moduler le temps de travail, c'est-à-dire à outrepasser la durée légale du temps de travail, sans accord du salarié. C'est bien plus grave que la seule remise en cause des trente-cinq heures. Il s'agit d'ouvrir une brèche béante dans le concept qui a forgé l'identité du modèle social français : la loi fixe les limites à ne pas dépasser. Elle représente un verrou qui protège le salarié de l'arbitraire patronal.

Le candidat de l'UMP reste, pour le coup, très en phase avec le président qu'il est, la vérité obligeant à dire que ce coup de force représente un coup de frein brutal à un mouvement commencé il y a 164 ans. La première limitation du temps de travail date de 1848, quand la loi interdit les journées de plus de douze heures. Les salariés ont dû beaucoup batailler pour faire pousser cette petite graine, l'élan décisif provenant de la grande grève de 1936, avec l'instauration de la semaine de quarante heures et de quinze jours de congés payés. Puis, viendront les trente-neuf heures, la cinquième semaine de congés, la retraite à soixante ans, et les trente-cinq heures, autant de mesures prises par des gouvernements de gauche, qui permettent de regagner du temps de vie sur le temps de travail.

Le patronat n'a jamais digéré ce mouvement civilisationnel. Il se fait donc revanchard, armé de son zélé serviteur, Nicolas Sarkozy. Mais soyons justes. Si le mensonge est une constante du discours présidentiel, l'homme est passé maître dans l'art du maquillage. Le dézinguage de la durée légale du temps de travail s'appelle donc aujourd'hui les accords compétitivité-emploi, manière d'insinuer que travailler plus et perdre du salaire serait bon pour l'embauche. Permettons d'afficher une moue sceptique car, de ce point de vue, le bilan de ces cinq dernières années signe une contre-performance économique. Le chômage explose.

Raison de plus pour reprendre le chemin du progrès, pour rétablir les trente-cinq heures effectives, les débarrasser de toutes les flexibilités introduites dans les différentes lois Aubry. Fixer ce cadre, et ce cap, autorise alors à repenser l'idée de travailler moins, travailler mieux pour travailler tous.

(l'Humanité)

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