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Mardi 14 Février 2012 :

 

Éditorial

Mourir de honte

Par Claude Cabanes

Athènes brûle. Pour la première fois est apparue au coeur de l'Europe, dans les villes et les campagnes grecques, l'ancestrale malédiction de l'humanité : la famine. Tous les mornes dignitaires de l'Europe, de Bruxelles à Strasbourg, tous les banquiers et les financiers, tous les chefs, sous-chefs et chefaillons des institutions monétaires de toutes sortes, tous les maréchaux des États, des Parlements, des cénacles officiels, tous les patrons, géants, moyens ou autres, tous les leaders politiques, de quelque couleur qu'ils soient, tous, qui ont mis la main à la pâte du désastre grec, devraient en mourir de honte.

Plus tard, les historiens en resteront babas : les enquêtes sur place des grands quotidiens, dont le nôtre (« Les Grecs passés à l'essoreuse »), Libération (« On n'avait pas vu ça en Grèce depuis l'Occupation »), et même le très sarkozyste Figaro (« Grèce : la descente aux enfers »), ont révélé à leurs lecteurs l'ampleur du gouffre dans lequel est poussé le peuple grec. La litanie de ce malheur est contenue tout entière dans ces quelques phrases d'un observateur athénien : « Tout s'écroule. Nous vivons sous une dictature économique. La Grèce est le laboratoire où l'on teste la résistance des peuples. Après nous ce sera le tour des autres pays d'Europe. » Le pronostic ne nous échappe pas...

Une majorité de députés grecs ont voté dimanche soir la nouvelle phase de la punition du peuple : le retour à une sorte d'âge de pierre moderne. L'Allemagne est à la tête de la cohorte de punisseurs : on a même entendu le ministre allemand des Finances, le « Gauleiter » Wolfgang Schäuble, annoncer que « les promesses de la Grèce ne nous suffisent plus ». Mme Merkel supervise le travail, flanquée de Mme Lagarde du Fonds monétaire international, de l'ineffable M. Barroso, chef de la Commission européenne, et du patron de la Banque centrale européenne. Des noms, ne suggèrent mes voix intérieures. En voilà, il y en aura d'autres ! Après tout, nous n'avons plus à prendre de gants quand toute une indignité est en marche contre un peuple frère... Dans le centre d'Athènes, des manifestants ont effacé le mot « Grèce » de la façade d'un bâtiment bancaire, pour le remplacer par « Berlin »...

Le peuple grec a été pris en tenaille entre la tête de l'État pourrie jusqu'à l'os depuis des décennies par des dirigeants cyniques et le capital, qui a pris en partie la poudre d'escampette (200 milliards des gros possédants grecs ont filé dans les « paradis », proches de nos frontières françaises...). Au cours du mois de janvier, la Banque centrale européenne a mis 500 milliards (oui, 500...) à la disposition des banques... À quel taux ? À 2 % ? Non, vous n'y êtes pas. À 1 %. Tous est dit. Et rien pour la Grèce.

À Paris le premier ministre, présent dans les colonnes du Monde, regarde ailleurs : la Grèce, connais pas. Le président de la République s'en lave les mains, comme Pilate : il court après Merkel. Quant à François Hollande, votera-t-il avec ses amis à l'Assemblée dans quelques jours, le funeste MSE ou mécanisme européen de stabilité ?

« La Grèce, pour nous autres de France, depuis cent cinquante ans, nous fait battre le coeur », écrivait Aragon. Il bat toujours.

(l'Humanité)

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