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Vendredi 10 Février 2012 :
Une délocalisation royale qui dérange Polémique : l'inauguration d'une vaste usine Renault au Maroc fait des remous. Renault étrenne au Maroc son usine géante de Tanger, nouvelle base « low cost » aux portes de l'Europe et tête de pont vers l'Afrique, qui ravive en France une polémique sur les délocalisations attisée par l'approche de l'élection présidentielle. Le PDG du constructeur automobile français Carlos Ghosn et le roi du Maroc Mohamed VI étaient présents hier jeudi à l'inauguration en grande pompe du site flambant neuf dans la zone franche de Melloussa, à 30 kilomètres de Tanger. Pour l'instant, une seule chaîne de montage est en fonction, d'où sortiront entre 150 000 et 170 000 véhicules par an quand elle tournera à plein. La capacité sera doublée à partir de 2013 et à terme, 6000 salariés travailleront sur place. Renault estime que les emplois indirects chez les fournisseurs pourraient se monter à 30 000. Le groupe de Carlos Ghosn va investir un milliard d'euros pour assembler à Tanger trois futurs modèles de sa gamme à bas prix, vendue en Europe et dans le pourtour méditerranéen sous la marque Dacia et ailleurs aux couleurs Renault. Son usine roumaine de Pitesti, où sont fabriqués pour la zone Europe-Méditerranée la petite berline Logan et ses dérivés, la berline Sandero et le 4x4 Duster, des moteurs et des boîtes de vitesse, est en effet saturée. Le groupe bénéficie de nombreux avantages de la zone franche (exonération de l'impôt sur les sociétés pendant cinq ans puis à taux réduit, pas de taxe d'exportation, formalités douanières accélérées). Mais sa discrétion sur la destination des véhicules relance la polémique en France. Les syndicats craignent que la production, exportée à 85 %, ne fasse concurrence à deux modèles fabriqués dans l'Hexagone, le monospace Scénic et l'utilitaire Kangoo. Les politiques, eux, tombent à bras raccourcis sur le constructeur, détenu à 15 % par l'État, alors que la désindustrialisation du pays s'est imposée comme un thème majeur de la campagne pour la présidentielle. L'ancien premier ministre Dominique de Villepin regrette « une erreur stratégique » de Renault, estimant que « cette course au low cost, nous ne la gagnerons pas ». Tandis que Bruno Le Roux, porte-parole de François Hollande, considère que « l'avenir de Renault, groupe français dans la mondialisation, n'est pas le low cost, mais la montée en gamme et le développement de la production sur les sites français ». Implanter une usine low cost a Tanger « n'est pas de la délocalisation » car de tels véhicules ne peuvent pas être produits en France, a répondu Carlos Ghosn. « Je ne pense pas que nous sacrifions l'emploi en France », a-t-il insisté. Il a rappelé que Renault va investir dans ses usines françaises de Douai (Nord) et Cléon (Seine-Maritime). « Malgré le fait que nous créons des usines à l'étranger, il y a quand même 40 % des investissements industriels qui continuent à être faits en France », a-t-il martelé. Renault assemblera au Maroc un monospace, le Lodgy, puis un utilitaire et un troisième modèle encore tenu secret. Les boîtes de vitesse, les moteurs et d'autres composants seront en revanche importés de France, d'Espagne et de Roumanie. Pour Jean-Christophe Kugler, qui chapeaute la région Euromed chez Renault, les véhicules produits à Tanger permettront surtout de tailler des croupières à la concurrence. Mais le constructeur profite aussi des salaires marocains, bien moins élevés qu'en Roumanie. « C'est du simple au double », résume M. Kugler, avec un salaire mensuel marocain moyen de 250 euros contre 450 euros en Roumanie. Le Lodgy, dans sa version de base, sera vendu à moins de 10 000 euros dès le mois d'avril en France soit moitié moins qu'un Scénic. Syndicats unanimes à Sandouville « Ce n'est pas bon pour l'emploi » « Il ne faut pas être contre le développement de Renault à l'international, mais contre la réimportation des Renault et Dacia fabriquées dans des pays low cost ». Le délégué CFE CGC de Sandouville ne décolère pas : « Cette production doit être réservée aux marchés locaux, sinon elle empiète sur la gamme fabriquée en France. » Au Maroc, le Dacia Lodgy sera « un concurrent direct du Kangoo, et du Scenic d'entrée de gamme. Une concurrence sérieuse, juge encore Patrick Mériat, car Lodgy a sept places contre cinq pour le kangouroo. » Ce qu'il dénonce encore « c'est l'alibi du constructeur qui pour faire revenir ses voitures à pas cher, justifie d'avoir mis le doigt dans l'engrenage parce qu'il a été pris de court par le phénomène de réimportation généré par les importateurs... Mais aujourd'hui, on a l'impression que Renault privilégie la gamme Dacia à son propre détriment. » Pour Patrick Mériat, « il faut un débat de fond dans lequel le gouvernement doit prendre sa place ». Même état d'esprit pour FO. « Ce n'est pas bon pour l'emploi, s'inquiète Vincent Lefrançois. Même si les véhicules faits au Maroc impactent davantage l'usine de Douai, cela aura des répercussions partout et donc à Sandouville. On parle également d'un utilitaire, plus petit que le Trafic. Quel impact cela aura-t-il sur notre production ? Aucune dit Renault. »Ce qui ne convainc pas l'élu. La CGT de Sandouville, elle, se donne encore un peu de temps pour communiquer sur le sujet. Le syndicat, évidemment, désapprouve la stratégie marocaine de Renault. Surtout à l'heure où, selon lui, l'usine de Sandouville s'apprête à stopper sa production d'Espace et Laguna à destination du Royaume-Uni. L'équivalent de « 3000 véhicules en moins sur l'année », confie un élu.
(Havre libre)
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