> Presse  —> L'incontournable question du plein emploi !

 

Mardi 7 Février 2012 :

 

L'incontournable question du plein emploi !

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Les dernières statistiques du chômage confirment. Nous faisons face à un sous-emploi massif, qui déborde largement les 2,9 millions de chômeurs officiellement comptabilisés. Plus d'un travailleur sur cinq est aujourd'hui écarté durablement ou tempérament du marché du travail. Les femmes, les seniors et les jeunes, notamment, cumulent les difficultés. La crise que nous traversons nous pose bien le défi de l'éradication du chômage et son corollaire, la pleine utilisation des capacités humaines. La justice sociale, c'est prioritairement de permettre à chacun, peu qualifié ou très qualifié, de trouver sa place dans l'oeuvre collective.

Tout cela nécessite d'inventer une nouvelle protection du travail. Confronté à la logique financière, enfermés dans ce sous-emploi permanent, le travail est aujourd'hui malade. Une des ruptures à opérer, c'est de passer d'une logique où l'on cherche à protéger essentiellement l'emploi à une logique où l'on concilie la protection de l'emploi et la préoccupation du travail humain lui-même. Ce serait une rupture avec l'approche libérale qui a toujours considéré que le travail était distinct de l'homme qui travaillait. Cette dichotomie est mortifère. Les salariés sont confrontés à de fortes contradictions dans l'entreprise. D'un côté, ils sont soumis à la montée des exigences des marchés. De l'autre, leur travail est de plus en plus prescrit, notamment avec le développement des outils informatiques. C'est d'autant plus sensible en France que les travailleurs français s'investissent plus dans leur travail que les travailleurs étrangers. Donner aux salariés les moyens pour qu'ils puissent correctement accomplir leur travail est un levier révolutionnaire pour changer le travail mais aussi l'économie.

La CGT a mis en débat l'idée d'une sécurité sociale professionnelle. Elle ne revendique pas une couche de plus de protection de l'emploi. Elle vise à éviter autant que faire se peut la rupture du contrat de travail, pour que les salariés ne s'éloignent pas durablement de l'emploi. Elle entend gagner en même temps le droit à l'intégration des jeunes. Même en période de crise, il vaut mieux que les jeunes soient dans l'entreprise, qu'ils finissent de se former et que l'entreprise les prépare à un travail ultérieur. Enfin, par rapport à la protection du travail, elle revendique une plus grande mutualisation des moyens entre entreprises. Il faut solidariser avec un objectif de développement des capacités humaines, notamment dans les rapports de sous-traitance. La création de comités interentreprises est indispensable.

Depuis trente ans, l'économie a fait l'impasse sur le plein emploi des capacités humaines. Il y a besoin de changer de politique et de s'attaquer à la finance. Mais le changement ne viendra pas seulement de l'État. Face à la finance, il est aussi nécessaire de construire des contre-pouvoirs. Les syndicats, les comités d'entreprise, les comités de groupe, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ( CHSCT) jouent bien un rôle de contrepoids dans l'entreprise. Mais si l'on veut vraiment avancer, il faut en faire de vrais contre-pouvoirs. Ils doivent devenir de véritables instances de décision permettant d'agir à la fois sur l'organisation du travail, ses finalités, mais aussi sur les orientations stratégiques de l'entreprise. Il faut aussi impliquer les salariés et dépasser la vision délégataire du syndicalisme, où l'on confie à une organisation syndicale le soin de jouer ce rôle de contre-pouvoir. La démocratie sociale suppose à la fois de renforcer les représentants du personnel mais aussi de faire intervenir les salariés. On ne trouvera pas une issue à la crise systémique actuelle sans réinventer des politiques publiques, mais on ne le fera non plus sans bâtir des capacités nouvelles intervention des salariés, sans mettre en place des systèmes institutionnels, sociaux, inédits. Le social, le bien commun, ne doivent plus être réglés au rang de simples conséquences des choix économiques. Plein emploi et démocratisation de l'économie vont de pair pour donner sens à l'action humaine, qu'elle soit individuelle ou collective. L'économie doit redevenir politique. Ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être.

Économiste et syndicaliste.

(L'Humanité Dimanche)

  haut de page