> Presse  —> « L'État tente d'imposer une logique de caporalisation »

 

Jeudi 15 Décembre : 2011:

 

« L'État tente d'imposer une logique de caporalisation »

Coauteur de Manager ou servir (Syllepses, 2011), le sociologue Thomas Lamarche décrypte les dangers du « nouveau ménagement public ».

Que pensez-vous du projet de confier l'évaluation aux chefs d'établissement ?

Thomas Lamarche. Donner de la légitimité au chef d'établissement pourrait être une bonne idée s'il s'agissait d'améliorer la démocratie scolaire. Mais là le ministère cherche surtout à créer une nouvelle hiérarchie à sa botte. Ce dispositif s'inscrit totalement dans le « nouveau ménagement public » (NMP) qui se met en place dans l'éducation nationale.

D'où vient ce nouveau ménagement ?

Thomas Lamarche. Initié par Margaret Thatcher, ce concept a depuis été repris par l'OCDE et la stratégie de Lisbonne. L'idée centrale est d'adapter au service public les méthodes de management du privé. On ne pense plus l'État à partir de sa mission politique et éthique, mais à partir d'une logique de rationalisation et des seules techniques de gestion. Dans les faits, le NMP se caractérise par une profonde défiance à l'égard des personnels qui, pour les autorités, doivent faire l'objet d'un contrôle très étroit. On multiplie donc les dispositifs d'évaluation systématiques et l'on crée de nouvelles hiérarchies intermédiaires. Apparaissent des « managers » dont la fonction n'est pas d'être au contact des personnels et d'animer l'organisation mais de contrôler de manière rigide, procédurale, ceux qui sont devenus leurs subalternes. En clair, on impose une logique de caporalisation là où l'on travaillait ensemble dans une logique relevant de la confiance.

Comment cela se met-il en place dans l'Éducation nationale ?

Thomas Lamarche. Cette transformation se fait par la formation des cadres de l'éducation nationale, dont les chefs d'établissement. La nouvelle génération est moins liée à la profession et beaucoup plus formée aux techniques managériales. Ces cadres ont moins une mission d'ordre général et sont de plus en plus mobilisés pour imposer aux personnels une avalanche de règlements et de procédures strictement cadrées. L'évaluation individuelle, le livret de compétences ou encore les évaluations de CE1 et CM2 sont typiques de ces dispositifs. Au lieu d'éclairer l'enseignant sur la meilleure manière de faire évoluer chaque élève, on lui demande de le faire rentrer dans une norme uniforme et nationale.

Quel est l'impact sur les personnels ?

Thomas Lamarche. Cette forte pression produit beaucoup de stress. Contrôlé sans cesse dans son action, l'enseignant finit par perdre confiance et se dévalorise. L'avalanche procédurale produit également de la distance entre les personnels, avec la hiérarchie et avec les familles. Les discussions sont toujours « intermédiées » par une norme. Au final, le NMP contrarie l'action des personnels et produit surtout de l'immobilisme. Le gouvernement parle beaucoup d'« autonomie » et de liberté des équipes enseignantes. C'est un leurre. La vraie liberté, c'est d'avoir des personnels compétents avec les moyens d'agir. Aujourd'hui, ils restent compétents mais sont enchaînés par les procédures. Ce qui va à l'inverse de la démocratie scolaire.

Entretien réalisé par L. M.

(l'Humanité)

  haut de page