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Jeudi 8 Décembre : 2011:

 

Éditorial

Justice et démocratie

Par Maurice Ulrich

Voilà au moins une position claire : « Il n'est pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paye des impôts et réside depuis au moins dix ans en France puisse voter lors des élections municipales. » C'est ce que déclarait en 2005 Nicolas Sarkozy. Le même qui aujourd'hui dépêche François Fillon en première ligne au Sénat pour s'opposer à la reprise du projet de loi resté en avril 2000 au milieu du gué. Adopté par la majorité de gauche de l'Assemblée mais qui ne sera jamais présenté au Sénat, Lionel Jospin estimant qu'il n'y avait pas de majorité pour le voter. Le reniement de Nicolas Sarkozy, témoignant une fois de plus de la géométrie variable de ses déclarations, en dit long sur l'instrumentalisation par la droite de cette question. Alors même que plus de soixante pour cent des Français sont désormais favorables à cette nouvelle disposition, la droite ne décide même pas de suivre l'opinion (incluant la gauche, il est vrai) mais entend aller chercher du côté de l'extrême droite les voix dont elle a besoin en ne répugnant pas aux arguments les plus démagogiques, les plus racoleurs et les plus mensongers. C'est en instrumentalisant des hommes et des femmes à qui l'on dénie toute citoyenneté qu'elle entend rassembler son camp. C'est moche. C'est injuste.

Mais la question du vote des étrangers n'est pas seulement une question de justice. D'autant qu'il y a, si l'on peut dire, étrangers et étrangers. Les résidents de la Communauté européenne, en raison sans doute d'une essence supérieure qui leur aurait été accordée par le traité de Maastricht, peuvent voter dans tous les autres États membres. En quoi sont-ils si différents des travailleurs qui viennent d'autres régions de la planète, et en particulier du Maghreb, dont ont vante pourtant, quand on a besoin, les liens qui les unissent à la France. Après leur avoir imposé sa présence pendant plus d'un siècle, et à quel prix, la France ne les reconnaît plus, la droite s'en sert comme repoussoir et comme diviseur de la nation. C'est indigne, mais, plus fondamentalement encore, ce qui est en jeu, c'est la question de la citoyenneté, c'est-à-dire de la participation pleine et entière des hommes et des femmes qui sont la France d'aujourd'hui à l'élaboration collective des politiques qui les concernent au plus près. Alors que l'on nous abreuve jusqu'à plus soif de discours sur l'identité, la véritable identité nationale, c'est la citoyenneté dans la République. La droite ressasse le thème des devoirs assortis aux droits. Mais il faut renverser la question. Comment ceux qui n'ont pas de droits peuvent-ils avoir des devoirs ? Sans compter que les devoirs, en l'occurrence, ils les remplissent. L'État accepte leurs impôts mais pas leur bulletin de vote.

En réalité, ce n'est pas seulement par calcul politicien que la droite agit. En maintenant des centaines de milliers de résidents en France en état de sous-citoyenneté, c'est toute la citoyenneté qu'elle tire vers le bas, que ce soit en termes de pression sur le droit au logement, les salaires, les droits de l'homme eux-mêmes. Comment des « Français de France » se plaindraient-ils de leur sort quand ils sont tellement mieux lotis que d'autres ? Tellement mieux lotis qu'ils ont droit, comme tous les ressortissants de la Communauté européenne, à la démocratie, pour une communauté de destin. Sauf que l'Europe d'aujourd'hui entend vider la démocratie de son sens. C'est dire que le combat pour la citoyenneté de tous est l'affaire de tous.

(l'Humanité)

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