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Mercredi 7 Décembre : 2011:

 

« Les dépenses publiques, facteur de richesse collective »

L'économiste Jean-Christophe Le Duigou réfute la thèse d'une fonction publique à la fois budgétivore et fardeau économique.

Entretien

Près d'un fonctionnaire sur cinq est payé au smic : quel sens donnez-vous à une telle statistique ?

Jean-Christophe Le Duigou. La dégradation matérielle de la situation des fonctionnaires préfigure toujours le repli du service public. Elle l'accompagne ensuite. Il n'est donc pas étonnant que la « smicardisation » de pans entiers de la fonction publique soit le pendant de la fameuse révision générale des politiques publiques, qui, dans une pure logique budgétaire, taille dans les structures des administrations et met en cause le service rendu aux usagers et à la collectivité.

À en croire le gouvernement, les charges de personnel sont devenues insupportables pour les budgets publics...

Jean-Christophe Le Duigou. Sur le plan des chiffres, rien n'est moins vrai. En 2008, au moment du déclenchement de la crise, l'ensemble des rémunérations versées aux 5,2 millions d'agents publics par les administrations (État, collectivités territoriales, hôpitaux), représentait 12,8 % du produit intérieur brut. Ce chiffre n'augmentait pas. Au contraire il ne cessait de baisser depuis quinze ans ! Il avait même retrouvé en 2008 son niveau de... 1980 ! Pour l'État stricto sensu souvent montré du doigt, la baisse a été de 15 % sur cette longue période. On est loin de la caricature du « fonctionnaire budgétivore ». Cet argument sert-il à dissimuler que, sur la même période, la charge de la dette publique, c'est-à-dire le paiement des intérêts sur la dette par l'État

doublait ?

Selon le discours libéral, les dépenses publiques se ramènent toujours, peu ou prou, à un fardeau, un handicap pour le développement économique. Elles sont ainsi mises en opposition avec le secteur privé, présenté comme le vrai créateur de richesses.

Jean-Christophe Le Duigou. Ce raisonnement est tout aussi faux. Les dépenses publiques, dont les rémunérations des fonctionnaires, ne peuvent s'analyser comme « un prélèvement sur la richesse ». Elles sont au contraire une contribution à la création de richesse collective. Éduquer les enfants, soigner les malades, assurer la sécurité des personnes et des biens, faire rentrer les impôts sont autant de missions dont l'apport se mesure mal car il est autant qualitatif que quantitatif. L'Insee y a partiellement renoncé en adoptant une convention statistique : la contribution des services publics au PIB est évaluée au montant des salaires qu'ils versent. Cette règle sous-estime leur apport à l'accroissement de la richesse collective alors que le service public contribue à la satisfaire de besoin indispensable pour les citoyens comme, directement ou indirectement, à la création de richesses par les entreprises. Sans recherche publique, sans diplômés de haut niveau, sans infrastructures en bon état, sans informations économiques, y aurait-il beaucoup de productions efficaces par le secteur privé ?

Le marqueur de la qualité de l'intervention publique est la manière dont la puissance publique traite ses fonctionnaires, notamment les plus modestes, les 55 % d'agents de catégorie C et une grande partie des 16 % de non-titulaires des trois fonctions publiques. Il ne peut pas y avoir de bon service à l'usager avec des agents publics qui n'auraient pas un statut correct. Telle avait été la leçon tirée en 1945 des déficiences du service public qui avaient conduit à son effondrement.

Entretien réalisé par Yves Housson

(l'Humanité)

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