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Dimanche 4 Décembre : 2011:

 

La mise en pièce de la protection sociale

Par Jean-Christophe Le Duigou (1)

Le rôle bénéfique de la Sécurité sociale dans la crise n'est plus à démontrer. Notre système de protection sociale a permis d'amortir le choc social et économique de la crise financière de 2008. La masse salariale a reculé, mais cette baisse a été particulièrement compensée par le maintien du niveau des retraites et l'accroissement des allocations chômage. La consommation des ménages n'a pas diminué. Résultat, la phase économique dépressive a été moins creusée qu'elle ne l'aurait été sans la protection sociale.

Il semble cependant loin, le temps où gouvernement et majorité vantaient ce rôle anticrise de notre système de protection sociale. L'heure est maintenant aux attaques tous azimuts.

D'abord à la périphérie, avec la dénonciation de « la fraude à la Sécurité sociale » qui curieusement, épargne les vrais fraudeurs, c'est-à-dire les employeurs qui ne versent pas les cotisations, pourtant partie intégrante de la rémunération salariale. Plus nettement, d'autres, tels Laurent Wauquiez et son courant, s'attaquent au prétendu assistanat qu'entretiendrait le système de protection sociale. Enfin, conjointement, le président de la République, le MEDEF et l'UMP annoncent qu'il faut « réfléchir d'urgence à un nouveau mode de financement de la protection sociale ». Une commission ad hoc serait rapidement mise en place.

Plus grave, le second plan de rigueur annoncé début novembre s'attaque au niveau des prestations familiales, qui ne seront même plus indexées sur les prix. Elles seront revalorisées comme la croissance, c'est-à-dire de moins que rien, l'année prochaine. De là à étendre la méthode aux retraites, il n'y a qu'un pas, que certains franchissent allègrement.

Arrêtons-nous sur cette question des retraites. Comme en contrepoint, le Conseil d'orientation des retraites (COR) vient d'expliciter ce qu'a apporté ce système de protection sociale en matière de pension : 14,7 millions d'hommes et de femmes perçoivent une pension moyenne de 1194 euros par mois. « C'est pas le Pérou ! » dira-t-on. C'est vrai. D'ailleurs, le taux de pauvreté chez les retraités ne baisse plus. D'où les revendications justifiées de revalorisation, notamment pour les retraités les plus modestes. Mais l'étude qui porte sur la génération née en 1942, qui a pris sa retraite autour de 2002, montre à la fois les améliorations qu'a permises le système mis en place de 1945 à 1982 et les premiers effets négatifs de la réforme de 1993.

Côté améliorations, le niveau de retraite des nouveaux pensionnés, ceux de la génération 1942, est supérieur de 25 % à celui des retraités partis antérieurement. Raison principale : le développement des retraites complémentaires et leur généralisation en 1970, qui fait la différence avec la génération née 20 ans plus tôt.

Par contre, les effets de la réforme de 1993 commencent à se faire fortement sentir. Le COR a fait le calcul : « Les pensions versées par le régime général aux retraités de la génération 1942 seraient supérieures de 13 % à celles effectivement versées, si on les recalculait en appliquant les paramètres antérieurs à la réforme de 1993. »

À plus long terme, les études rassemblées par le COR esquissent ce que vont être les conséquences des réformes de 2003 et 2010. Elles montrent qu'à l'avenir, le niveau de vie des retraités décrochera de celui des actifs. Aujourd'hui inférieur d'environ 10 points à celui des actifs (hors revenus du patrimoine), il deviendrait, selon les projections réalisées, inférieur de 25 à 30 points à l'horizon 2050. Le taux de remplacement baissera donc de près de 40 %. Ce n'est qu'une moyenne. On devine quelles catégories seraient particulièrement touchées. Les femmes dont la pension ne représente aujourd'hui, en moyenne, que 47 % de celle des hommes seront les victimes toutes désignées.

Est-ce la mise en pièce de la protection sociale qui est ainsi annoncée ? Dans un propos rapporté par le journal économique « les Échos », la semaine dernière, un responsable de l'UMP, sous couvert d'anonymat, annonce crûment l'objectif : Nous n'avons plus le choix il faut s'attaquer au dur, et couper dans les dépenses sociales... »

(1) Économiste et syndicaliste.

(L'Humanité Dimanche)

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