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Mercredi 30 Novembre 2011:
Éditorial Le passeur idéologique Par Jean-Paul Piérot La répartition des tâches au sein de l'état-major présidentiel à cinq mois de l'élection se met en place. À François Fillon le rôle du Père la rigueur, qui annonce le plan d'austérité – le plus sévère depuis la Libération – avec une brutalité et une gravité destinée à assommer toute envie de résister et de penser un autre avenir. À Claude Guéant la mission de dégager les voies de communication entre la droite et son extrême. De montrer, déclarations xénophobes à l'appui, que les électeurs du Front national peuvent très bien voter pour Nicolas Sarkozy sans avoir besoin d'en rabattre sur leurs obsessions. Et vice versa. Des déçus du sarkozysme ne commettraient qu'un péché véniel s'ils succombaient aux sirènes de la candidature du FN, avant que tout ce petit monde se retrouve au second tour. Et pourquoi pas après. Interrogé hier matin sur RTL, Claude Guéant a justifié ses propos anti-immigrés en prétendant que la présence des étrangers est « un sujet qui préoccupe beaucoup les Français ». Il ment. Toutes les enquêtes d'opinion convergent sur le fait que l'emploi, le pouvoir d'achat, l'école, la santé sont bien les premiers sujets qui occupent les esprits. Mais le mensonge du ministre conseiller du prince est révélateur. Les Français qui l'intéressent, le coeur de cible de ses messages, sont bien la frange la plus radicale de l'électorat de droite, celle qui fulmine contre le fonctionnaire « privilégié »,le chômeur « assisté », l'étranger « profiteur ». Guéant est plus qu'un rabatteur, il est un passeur idéologique. Bien davantage que la voix de Le Pen au sein du camp présidentiel, le ministre de l'Intérieur est la voix de Nicolas Sarkozy auprès de la maison concurrente. Concurrente mais certainement pas adversaire. En s'opposant avec vigueur au droit de vote aux élections locales des résidents étrangers durablement installés en France, Nicolas Sarkozy se met en porte-à-faux vis-à-vis d'une opinion publique largement favorable à ce droit démocratique (61 % selon un sondage paru lundi). Mais, là aussi, ce n'est pas l'avis de la majorité qui l'intéresse mais celui de la partie la plus conservatrice et la plus réactionnaire de l'électorat. Toute cette agitation au motif peu avouable présente un autre intérêt pour un président en délicatesse avec le peuple : celui de détourner l'attention de son bilan, de sa politique économique et sociale, et de ses projets si par malheur l'élection du printemps 2012 ne mettait pas fin à la carrière présidentielle de Nicolas Sarkozy. Que resterait-il de la régulation et de la protection sociales arrachées par plus d'un siècle de lutte du mouvement ouvrier, jalonné des pages glorieuses du Front populaire et de la Résistance ? À l'ombre des provocations du ministre de l'Intérieur, la surenchère antisociale va bon train. Ainsi le député Hervé Mariton, qui dirige l'un des clubs du camp sarkozyste, Réforme et Modernité, invite à aller plus avant dans la décimation de la fonction publique en ne remplaçant pas deux fonctionnaires sur trois partant à la retraite, et propose l'instauration d'une à trois heures supplémentaires à titre gratuit. Dans cette foire aux idées aux allures de jeu de massacre, la patronne du Medef, Laurence Parisot, réclame la fin de toute durée légale du travail, qui pourrait être différente selon les entreprises et les périodes. Ce projet de société, libérale, précarisée, autoritaire, trouverait sa justification dans la crise qui agite la zone euro et au-delà l'Union européenne. Vaste mystification qui laisse de côté, bien à l'abri, les spéculateurs en chair et os camouflés derrière le masque abstrait et inquiétant des marchés financiers. (l'Humanité)
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