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Mardi 29 Novembre 2011:

 

Éditorial

La carte et le bulldozer

Par Maurice Ulrich

C'est un feu roulant et la droite ne s'embarrasse pas de finesse. Pour le Figaro, dont il est opportun de rappeler que le directeur de la rédaction, Étienne Mougeotte, est l'un des conseillers de campagne de Nicolas Sarkozy, avec le programme du candidat socialiste, « la France serait rayée de la carte du monde en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire ». On ne sait si l'éditorialiste qui signe ce scénario catastrophe croit vraiment ce qu'il dit, auquel cas on craint pour sa santé mentale, mais peu importe semble-t-il. Samedi, devant les cadres de l'UMP, François Fillon a donné le ton : « En son temps et en son heure, Nicolas Sarkozy entrera en campagne, et vous pouvez lui faire confiance pour que cette nouvelle aventure ne soit pas tiède. » Chaud devant. Mais François Fillon manie l'euphémisme, car le président sortant est déjà en campagne, et comment, avec une nette accélération dans la dernière période et alors que sa cote semble frémir, voire remonter dans les sondages. Et lui non plus ne fait pas dans la dentelle et la précision. « On ne va tout de même pas retourner à la bougie », a-t-il proféré vendredi au Tricastin, ce qui n'est pas, on en conviendra, la meilleure façon de débattre de l'avenir énergétique de la France.

Mais précisément, si de telles outrances sont possibles, c'est qu'elles prennent largement appui sur ce qu'il faut bien appeler le cafouillage des quinze derniers jours autour de l'accord entre les écologistes et le PS. Cafouillage démocratique tout d'abord. Comment après des primaires chez les uns et les autres qui se sont voulues transparentes et citoyennes, justifier un accord entre dirigeants ressemblant fâcheusement à des tractations de couloir. Cafouillage sur le contenu ensuite. Que ce soit sur le nucléaire ou sur le droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, auquel la France aurait été censée renoncer avant que le PS dise qu'il n'en était pas question, l'occasion était trop belle pour la droite de taxer le PS, et surtout son candidat, d'irresponsabilité. Mais il y a plus. Comme la nature qui a horreur du vide, c'est aussi en raison du déficit d'alternative réelle à la politique actuelle, tel que le porte le candidat socialiste, que ces deux sujets, quelle que soit leur importance, ont pu occuper l'espace médiatique. Et ce serait cela que les Français attendent de la gauche, face à la pression permanente des marchés financiers, aux « règles d'or » du capital, à la mise en cause de la souveraineté des États au nom de la gouvernance européenne et à la perspective de plans de rigueur à répétition ?

La question n'est donc pas de savoir si le candidat socialiste est plus ou moins dur ou mou, ou s'il est irrésolu, la question c'est : quelle politique ? Cependant, elle ne concerne pas que le PS et ce serait une lourde erreur de penser que d'autres candidats à gauche pourraient en quelque sorte profiter d'un effet d'aubaine en gagnant quelques voix, mais au prix du désastre national que serait la réélection de Nicolas Sarkozy. Ce ne serait pas une France rayée de la carte, mais une France dont les services publics et les acquis sociaux seraient arasés au bulldozer. On a vu et on voit chaque jour ce qu'est Sarkozy 1, on peut imaginer ce que serait Sarkozy le retour. Il faut le dire nettement. La crédibilité de toute la gauche est aujourd'hui incertaine. Il est urgent qu'elle se ressaisisse, dans un grand débat citoyen, à tous les niveaux, du local au national.

(l'Humanité)

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